Frédéric Lasserre Président Belaco Capital : "2015 ne sera pas marquée par une reprise de la croissance économique".
Matières premières : la chute des cours du pétrole posent question sur l'économie
Matières premières : la chute des cours du pétrole posent question sur l’économie et le scénario central de reprise mondiale.
Nous abordons les questions géopolitiques, le marché et les raisons d’un tel effondrement des cours du pétrole.
Mon invité est Frédéric Lasserre Président Belaco Capital.
Web TV www.labourseetlavie.com : Frédéric Lasserre, bonjour. Vous êtes le président de Belaco Capital. On va parler avec vous de matières premières, des matières premières qui posent question vraiment cette année 2014, vu les niveaux atteints très bas par les cours du pétrole. C’est vrai que l’on aurait pu penser initialement qu’avec tous ces conflits, on va dire notamment dans certaines zones pétrolières, le baril de pétrole serait peut-être au-dessus des 100 $, ce n’est pas le cas. Quelle est l’analyse que vous faites aujourd’hui de ce marché ?
Frédéric Lasserre, Président de Belaco Capital : C’est vrai que les cours du pétrole ont corrigé assez violemment. On traitait encore 115 € dollars le baril en juin dernier et maintenant on approche de la barre des 80, donc c’est une correction tout à fait significative. Le principal élément, je crois qu’il n’est pas spécifique aux matières premières, il est… également il explique en partie la correction sur les marchés actions. C’est un retournement complet du consensus économique sur les perspectives de croissance à court et moyen terme maintenant. Aujourd’hui le consensus est clair, 2015 ne sera pas une année marquée par une reprise de la croissance économique alors même que, dans certaines zones, l’Europe en particulier, c’est plutôt le scénario à la japonaise qui commence à devenir le scénario central. Donc, face à cela, évidemment les opérateurs ont également traduit ces perspectives en termes de contraction de la demande ou en tout cas d’atonie complète de la demande, dans un marché qui portait déjà des excédents, donc ce qui explique la violence de la correction que l’on a connu ces derniers mois.
Web TV www.labourseetlavie.com : On pouvait dire qu’effectivement jusqu’à présent il y avait donc ces tensions géopolitiques, ces tensions auraient pu amener puisque on voyait que l’on était sur certaines zones, on parlait de l’Irak notamment, on voyait la Libye avec… on ne sait même pas ce qui se passe exactement dans ce pays aujourd’hui, donc on voyait des zones potentiellement concernées et finalement il n’y avait pas une flambée des cours du pétrole ?
Frédéric Lasserre, Président de Belaco Capital : Non, alors en d’autres temps, il est vrai qu’avec un tel agenda géopolitique, comme vous l’avez dit, entre l’Irak, la Libye, la Syrie, la bande de Gaza, plus d’autre pays plus anecdotiques, on aurait dû avoir une prime de risque qui s’intègre dans les cours et qui reflète le risque de baisse ou de chute de production assez significative, cela n’a pas été le cas. Alors, pour deux raisons, d’une part, encore une fois, le marché était déjà en excédent avec d’une part des stocks relativement importants, des stocks commerciaux aux mains des privés relativement importants, un excédent de production qui est venu en fait progressivement du retour de la Libye alors même que l’Arabie Saoudite ne lui a pas véritablement rendu ses parts de marché, et puis surtout, de façon plus structurelle, cette idée que maintenant, avec la croissance de la production des pétroles de schiste aux États-Unis, on va vers un marché de mieux en mieux approvisionné, qui a de plus en plus de possibilités de substituer des pertes de production par des croissances de production dans d’autres zones géographiques.
Web TV www.labourseetlavie.com : Il y a quelques années encore, on aurait aussi parlé bien entendu de la Chine, la Chine qui faisait quelque part quasiment ces marchés au-delà des aspects géopolitiques, et à chaque fois que l’on voyait une forte demande en Chine, effectivement on avait des réactions en chaîne, cela donne aussi une idée que l’économie chinoise n’est plus ce qu’elle était ?
Frédéric Lasserre, Président de Belaco Capital : Tout à fait, d’une part parce que maintenant son niveau de croissance annuel est retombé à des niveaux beaucoup plus normalisés, on est à peine à 7 % maintenant de croissance annuelle et puis, d’autre part, parce que la nature même de l’économie chinoise a changé. Il y a encore 10 ans, on avait une croissance de pétrole équivalente quasiment à la croissance du PIB, donc c’était du un pour un en termes de nécessité, 10 % de croissance, 10 % de croissance de la demande de pétrole. Aujourd’hui, on est à moins de la moitié, à 7 % de croissance économique, on va avoir à peine 3 % de la croissance de la demande de pétrole chinoise. Donc cela traduit, d’une part, de façon conjoncturelle, le ralentissement économique et, d’autre part, cette transition qui est voulue par l’autorité chinoise d’une économie beaucoup plus tournée vers la consommation domestique que vers l’exportation.
Web TV www.labourseetlavie.com : On peut dire aussi que sur ces marchés-là, finalement les investisseurs ont anticipé ce que l’on est en train de réaliser sur la partie économique c’est-à-dire les marchés des matières premières ont anticipé un petit peu les questions que l’on évoquait en introduction, une économie moins forte que prévue, une reprise moins forte que prévue ?
Frédéric Lasserre, Président de Belaco Capital : Tout à fait. Alors, d’une part, on connaît le rôle d’indicateur avancé des marchés de matières premières par rapport au cycle conjoncturel économique, elles ont de nouveau joué ce rôle manifestement. Et puis il y a une autre explication, c’est que on avait manifestement des marchés Actions qui ont corrigé plus tard, dont les valorisations étaient également portées par, notamment, l’impact de politique monétaire très accommodante qui n’avait pas d’influence sur les cours de matières premières. Donc on avait déjà ce décalage de valorisation, de fair value quelque part, entre les marchés Actions et les marchés de matières premières. Aujourd’hui, encore une fois, avec ce renversement du consensus économique sur les perspectives à moyen terme, on a plutôt une convergence de nouveau et ce sont les marchés Actions qui sont venus corriger vers les marchés de matières premières.
Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que… on a peut-être sous-estimé justement cette « révolution » du schiste effectivement aux États-Unis c’est-à-dire le fait que les États-Unis devenaient eux-mêmes producteurs, et du coup cela change complètement la donne au niveau mondial ?
Frédéric Lasserre, Président de Belaco Capital : Alors, on l’a d’évidence sous-estimée au tout début de l’aventure. Maintenant que l’on a un peu plus de recul, cinq, sept ans pour les premiers champs, on voit bien que, d’une part, l’importance des réserves est tout à fait significative, et d’autre part, effectivement, la croissance est assez régulière. Donc la production américaine augmente de 1,5 à 2 millions de barils par jour, là où on s’est peut-être trompé, c’est sur les perspectives de la demande. On pensait que la croissance de la demande, quelque part, serait du même niveau et donc quelque part on resterait peu ou prou à l’équilibre, la croissance américaine venant simplement satisfaire la croissance de la demande, ce qui voulait dire que la part de marché des autres producteurs, et en particulier de l’OPEP, resterait peu ou prou stable. Ce n’est pas le cas, avec la contraction, en tout cas l’atonie de la demande, on n’est pas encore en baisse de demande mais on a une demande qui est pratiquement à zéro maintenant, on se retrouve avec cette croissance de la production américaine qui vient en excédent et non pas pour satisfaire une demande.
Web TV www.labourseetlavie.com : Du côté des pays, bien sûr, l’Arabie Saoudite en premier lieu, on voit que l’on a des affirmations sur 80, 90 dollars, on sent que c’est le niveau… Mais est-ce que l’on ne peut pas aller plus bas finalement si on reste dans cet état économique entre deux ?
Frédéric Lasserre, Président de Belaco Capital : C’est une décision qui va relever d’une vraie décision stratégique, encore une fois plutôt de moyen terme que de court terme. À court terme, effacer l’excédent qui est aujourd’hui à peu près de 1 million de barils/jour, soit à peine 1 % de la demande mondiale ou de l’offre mondiale, comme on veut, pour l’Arabie Saoudite, ce n’est pas un effort démesuré, c’est facile, cela peut être assez rapide. Par contre, la décision, elle relève beaucoup plus du choix, encore une fois, de est-ce que quelque part je laisse mon concurrent, nord-américain en l’occurrence, prendre mes parts de marché ? Donc je baisse ma production au fur et à mesure que lui l’augmente, donc d’une part je lui donne mes parts de marché, je fais un transfert net de parts de marché, et d’autre part, je lui garantis un niveau de prix auquel les investissements dans les pétroles de schiste sont rentables. Donc, quelque part, je rentre dans une spirale un peu négative où je ne fais qu’accumuler le problème au fil du temps puisque j’encourage mon concurrent direct en lui garantissant des prix suffisants. À l’inverse, si l’Arabie Saoudite décide, quelque part, de rentrer dans une guerre des prix, quelque chose qu’elle a déjà fait en plusieurs occasions, notamment dans les années 80, de façon assez violente, pour essayer de ralentir les investissements en mer du Nord en particulier, cela nous promet des niveaux de prix significativement plus bas parce que, pour ralentir les investissements dans la zone nord-américaine, il faut amener les prix significativement en dessous de 70 $, voire 60 $ le baril, et les y maintenir pendant un temps assez important pour, encore une fois, démotiver quelque part les producteurs américains d’investir dans de nouvelles capacités.
Web TV www.labourseetlavie.com : On n’en est pas encore là. Alors, il y a quand même deux pays auxquels on pense, c’est l’Iran et la Russie bien entendu, la Russie, à ces niveaux de prix, cela pose problème pour le pétrole russe ?
Frédéric Lasserre, Président de Belaco Capital : Pour le pétrole russe, cela pose problème. Encore une fois, le budget russe, lui, s’équilibre beaucoup plus à 90 $ le baril, donc c’est comme cela qu’il est construit en termes d’hypothèse, donc on voit bien que déjà aujourd’hui on est en dessous des hypothèses, donc cela va se traduire par du déficit budgétaire accentué, forcément. D’autre part, il est vrai que, d’un point de vue purement géostratégique, si cela ne fait pas l’affaire des producteurs américains, cette baisse des cours, en revanche le gouvernement américain qui n’a pas exactement les mêmes intérêts que les producteurs stricto sensu, peut voir cela plutôt d’un bon œil. Cela met une pression forte sur la Russie, cela, encore une fois, ralentit peut-être ses velléités, et dans le contexte actuel de menaces réciproques, d’embargos commerciaux, pour essayer encore une fois de faire plier la Russie notamment sur le sujet de l’Ukraine, cela vient donner un rapport de force plutôt favorable aux États-Unis et aux pays occidentaux de façon générale.
Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Frédéric Lasserre d’avoir fait le point avec nous sur ces marchés pétroliers.
Cet interview a été tournée au Club Confair, 54 rue Laffite, 75009 Paris :
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