Rainer Voss ancien banquier d'affaires : "Je suis inquiet des conséquences sociales de cette situation".
Interview de Rainer Voss ancien banquier d'affaires de "Master of Universe" (Troisième partie)

22 décembre 2014 14 h 12 min
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INTERVIEW EXCLUSIVE TROISIÈME PARTIE

Rainer Voss est le banquier d’affaires qui parle dans « Master of Universe », film qui raconte à travers son témoignage les dessous de la finance de marchés, la fameuse banque d’investissement qui s’est rendue célèbre aux cours des dernières années par de nombreux scandales.

J’ai eu la chance de le rencontrer lors de son passage à Paris et il m’a accordé cette interview. Son métier, les failles de ce système financier, de son mode de fonctionnement. J’ai voulu comprendre avec lui pourquoi et comment ce système avait connu des dérives. Quels étaient les ressorts des intervenants, comment pouvait-on aussi imaginer changer le système ?

Avec plus de régulation ? De l’intérieur ? La sortie du « Master Of Universe » film où il est le « héros », celui qui raconte les secret de la Finance, a été l’occasion d’en parler avec lui ses réponses font parfois froid dans le dos, elles nous éclairent en tout cas sur la financiarisation de notre économie, de nos économies et sur ce qui se passe réellement dans ce monde de la Finance, souvent caricaturé, mal compris, mal appréhendé dans toutes ses dimensions. Il nous met en cause aussi dans nos propres choix. Il n’y a pas les méchants banquiers, baptisés les  « banksters » et nous les « gentils » citoyens, nous participons à ce système avec nos choix personnels. Ce n’est pas le moindre des paradoxes à découvrir dans cette interview exclusive.

 

Didier Testot (labourseetlavie.com) : Si je comprends bien, les marchés font ce qu’ils veulent.Les investisseurs, les traders, font ce qu’ils veulent d’un pays. Ils peuvent même se battre contre un pays.

Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Il y a trop de relations de cause à effet pour moi. C’est encore une fois l’image des « banquiers-gangsters » qui cherchent à ruiner un pays. Ce serait trop facile. Il suffirait de les mettre en prison,de tout raser et le problème serait réglé. Cela va bien au-delà. Comme je le disais, tout ça est empirique. Où mettre la limite ? Quand décide-t-on que cela devient néfaste ?C’est moral pendant un temps et d’un coup, ça ne l’est plus. Où est la frontière ? Comment la définir juridiquement ? Comment faire ?

Didier Testot (labourseetlavie.com) : Des mesures ont été prises aux USA, beaucoup moins en Europe. Vous dites, dans le film, que personne n’est capable de comprendre le bilan de la Deutsche Bank. Pas même d’autres banques ? Personne ?

Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Pas une personne seule.Il est trop volumineux. Bien entendu, un auditeur rédige le bilan et l’équipe d’audit est capable de le comprendre. Mais, au final, c’est extrêmement compliqué. Difficile, en tant que manager, de ne pas comprendre les rouages de l’entité que vous dirigez. Vous tirez là et vous ne savez pas ce qui se passera ici. Que faire, dans ce cas ? Opérer par tâtonnements. Dans ces conditions, je ne peux pas faire confiance au système.

Didier Testot (labourseetlavie.com) : Tout être humain a besoin d’espoir pour vivre. Nous le savons tous les deux. Pouvez-vous nous redonner de l’espoir ? Le film est très sombre. Vous y décrivez l’univers de la finance,et dressez le portrait d’un homme très froid. C’est très apocalyptique. Nous savons certaines choses et nous en ignorons d’autres. Comment le système peut-il encore susciter de l’espoir ? De l’intérieur ou de l’extérieur ?

Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Aux deux. Je pense qu’en effet…Les banques doivent réinventer leur façon de faire des affaires.Inventer la banque 4.0. J’ai des enfants. Je vais peut-être paraître cynique, mais ce que je vais dire est vrai. Une banque est organisée autour de deux piliers : le manque de transparence et l’asymétrie d’information. Mes enfants m’ont donné les mêmes réponses. Comment une banque et mes enfants vont-ils bien pouvoir collaborer ? Il faut trouver de nouvelles idées, comme le financement participatif. Je suis sûr que nous utiliserons beaucoup les bitcoins, les monnaies alternatives,que se développeront de nouvelles formes de financement privé, de financement d’amorçage pour les créateurs d’entreprises, etc. Google dispose d’une licence bancaire en Europe. Ils proposeront d’abord d’effectuer des transactions. Les banques diront : « Laissons-les faire, ça nous coûte de l’argent. » Et 2 ans plus tard, Google proposera d’ouvrir un compte bancaire. Et les banques diront : »Nous n’avions pas prévu le coup. »Il y a donc une évolution, accompagnée d’innovation. Et je crois, j’espère, vous qui vouliez de l’espoir,j’espère que ce processus remplacera tout ce qu’il y a de mauvais dans l’ancien système et qui l’empêche d’avancer.

Didier Testot (labourseetlavie.com) : Lorsque vous entendez les banquiers français ou européens dire que la réglementation est excessive,qu’il est impossible de financer les entreprises, qu’il y a trop de réglementation depuis Bâle III,que vous connaissez, en tant que spécialiste, pensez-vous qu’ils ont raison ?

Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Je ne crois pas. Il y a trop peu de régulation, selon moi. Si elle est bien ciblée ou non, c’est une autre question. Je pense qu’il faut mettre le pied à l’étrier et dire aux politiciens : « Nous ne nous laissons plus faire », pour qu’ils soient obligés d’agir. Je ne sais pas si c’est la bonne méthode, mais il faut agir. Je suis du même avis que les professeurs Hellwig et Admati,auteurs de « The Bankers’ New Clothes » : je crois que l’actif des banques devrait être de 20% de l’actif, pas de 2,5% ou 5%.Il faut également modifier les ratios de levier. Il est inacceptable d’avoir des ratios de levier de 30 ou 35 %. C’est totalement inacceptable. Il y a d’autres régulations…Les régulations ont fait disparaître les liquidités des marchés les banques ne créant plus de marchés car cela leur coûtait trop cher en fonds propres. Était-ce une bonne idée ? Je ne sais pas. Mais il faut faire bouger les choses et…quand on veut assécher un marais, on ne demande pas leur avis aux grenouilles.

Didier Testot (labourseetlavie.com) : On observe une montée des extrêmes en France et dans certains pays d’Europe. Pensez-vous que la situation actuelle, cette longue crise, ce système, soient en partie responsables de ce que les gens pensent aujourd’hui ?

Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Très clairement, oui. Cela m’inquiète également. Je ne redoute pas une nouvelle crise financière car rien ne change : les riches s’enrichissent, les pauvres s’appauvrissent, et, 2 ans plus tard, retour à la case départ, on recommence tout à zéro. Je suis inquiet des conséquences sociales de cette situation, politiques également, et de la façon dont notre société s’en trouve remodelée.

Didier Testot (labourseetlavie.com) : Merci, Rainer Voss, d’avoir été avec nous aujourd’hui.

Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Avec plaisir.

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