Afrique - Télécom : Interview Jean-Michel Huet Directeur Associé Bearing Point .
Etude Bearing Point : "Le taux de pénétration des télécoms en Afrique est au niveau de l’accès à l’eau courante (64%)"

15 septembre 2013 17 h 56 min
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Selon une étude de la société de conseil Bearing Point « le taux de pénétration des télécoms en Afrique est au niveau de l’accès à l’eau courante (64%) et il est largement supérieur à l’accès à l’électricité (40%) ou à un compte en banque (21%)« .

Mais dans certains pays africains sans banques, l’usage du mobile( paiements, transferts d’argent) est beaucoup plus développé qu’en France par exemple ! L’Afrique devance l’Europe, regardez l’interview que nous a donné Jean-Michel Huet Directeur Associé Bearing Point.

Web TV www.labourseetlavie.com : Jean-Michel Huet, bonjour. Vous êtes directeur associé chez BearingPoint, un cabinet de conseil. On va parler avec vous de l’Afrique à travers le sujet télécoms. C’est vrai que l’on a tendance, quand on regarde l’Afrique, à penser que la téléphonie mobile est en retard, ce qui n’est pas du tout évident, en tout cas d’après l’étude que vous proposez. Quel regard justement vous portez sur cet équipement d’Afrique ? En matière de télécoms on peut dire que l’Afrique, il y a certains pays qui sont aussi bien équipés, voire mieux équipés que la France par exemple ?

Jean-Michel Huet, Directeur associé chez BearingPoint : Oui, tout à fait, c’est surprenant, mais cela l’était il y a 10 ans parce que je pense qu’il y a 10 ans, très peu d’analystes, de prévisionnistes auraient parié que les télécoms seraient autant développés en Afrique qu’ils ne le sont aujourd’hui. C’était logique. Il y a 15 ans, rendez-vous compte, seul 1 % des Africains avec une ligne téléphonique, c’était la bonne vieille ligne fixe, la paire de cuivre, comme on dit, et au cours des 10 dernières années le mobile a littéralement explosé. Aujourd’hui vous avez des pays qui ont un taux de pénétration du mobile, plus de 100 %, un peu comme la France, l’Afrique du Nord, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, l’Afrique du Sud, quelques pays comme le Botswana par exemple. C’est un véritable succès, encore une fois que très peu de gens avaient prévu, avaient anticipé. Et il y a même des domaines, on en reparlera peut-être tout à l’heure, où l’Afrique en termes d’usage, d’innovation, est plus en avance que les pays développés comme la France.

Web TV www.labourseetlavie.com : On parle souvent quand on parle de l’Afrique des questions d’accès à l’eau par exemple, et quand on regarde les pourcentages sur la téléphonie, et par rapport à l’accès à l’eau, on va dire, finalement ils vont être peut-être plus est équipés en téléphone que d’avoir accès à l’eau, ce qui est incroyable.

Jean-Michel Huet, Directeur associé chez BearingPoint : Ce qui est terrible aussi parce que cela pose une vraie question sur l’accès à l’eau, l’accès à l’électricité, même problématique, l’accès aux routes. Pour vous donner un chiffre marquant, il y a 400 000 villages en Afrique, moins d’un tiers de ces villages ont un accès par une route en dur, en bitume, etc., moins d’un tiers c’est-à-dire que les deux tiers des villages africains, ce sont des chemins, c’est de la terre et autres, donc autant dire beaucoup de problèmes pour y accéder. 60 % des villages africains ont une couverture GSM ou 3G, donc une couverture télécom. Dans les deux tiers des villages africains, vous pouvez téléphoner, par contre pour y aller c’est un peu plus dur. C’est exactement ce cas de figure dans ce que l’on appelle les Utilities pour reprendre un terme anglo-saxon, c’est-à-dire les besoins de base, l’électricité, l’énergie, les transports, les télécoms, en Afrique les télécoms sont les plus développés. Cela dit, typiquement le fait que plus de la moitié des Africains n’aient pas un accès facile à l’électricité, c’est aussi un problème parce que le téléphone, il faut aussi recharger la batterie.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc les sujets effectivement de ce point de vue-là. Alors côté opérateur aussi télécom, on voit en Europe que il y a à peu près… par exemple si on prend la France, on a nos trois opérateurs, quatre opérateurs avec Free qui est arrivé sur le marché, ces opérateurs qui se partagent le marché, en Afrique est-ce que l’on avait aussi des opérateurs historiques, donc des monopoles de fait dans beaucoup de pays ?

Jean-Michel Huet, Directeur associé chez BearingPoint : Pareil, il y a 10,12 ans, vous n’aviez que des monopoles. Aujourd’hui il n’y a plus que deux ou trois pays africains qui sont en monopole, l’Éthiopie, Djibouti, Sud Soudan, et à l’autre opposé du spectre, vous avez des pays africains où il y a jusqu’à neuf opérateurs télécoms, c’est le cas de la Somalie, qui sont parfois des opérateurs régionaux dans le Puntland, dans le Somaliland, autant vous dire que cela ne marche pas vraiment beaucoup pour eux. En moyenne en Afrique, vous avez entre deux et trois opérateurs mobiles par pays.

Web TV www.labourseetlavie.com : On parlait du sujet mobile, sujet Internet aussi, est-ce que là pour le coup il y a des pays qui ont effectivement un vrai accès Internet ? On voit parfois certain pays mieux équipés que d’autres, on en est où sur la partie Internet ?

Jean-Michel Huet, Directeur associé chez BearingPoint : On a le même cas de figure qu’il y a dix ans. Ce qui s’est passé il y a dix ans en Afrique, c’est que le continent est passé de pas d’accès télécoms en public à plus de la moitié de la population qui aujourd’hui a un téléphone mobile. Donc ils n’ont pas connu la ligne fixe comme nous on l’a connu en France par exemple. Sur Internet, cela va être à peu près pareil c’est-à-dire que nous on a appris, on a découvert Internet via l’ADSL, le PC, etc., l’ordinateur, les Africains vont passer directement de pas d’accès Internet a accès Internet sur son téléphone mobile, exactement comme aujourd’hui avec nos Smartphones, nos tablettes, nous surfons sur Internet. Donc ils vont « bypasser », ils vont dépasser ces dix années que nous on a connu où c’était le PC, l’ordinateur qui était le terminal d’accès à Internet, et donc ils vont directement passer à l’Internet mobile. Pourquoi ? Pour deux raisons, parce que les réseaux mobiles sont beaucoup plus développés que les réseaux fixes, encore une fois, il y a plus d’antennes GSM que de paires de cuivre dans les tuyaux en Afrique, et parce que, on ne s’en rend peut-être plus compte en France, mais finalement un téléphone mobile, même un Smartphone, coûte moins cher qu’un PC, et donc quelque part ils ont un seul terminal, le téléphone mobile, et avec ils peuvent se connecter à Internet.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc quelque part ils ont gagné, ils ont été plus vite de ce point de vue là sur l’accès à Internet. On voit aussi dans certains pays des usages notamment sur le paiement bancaire. Alors quand on en parle effectivement en France, on voit des initiatives, on voit un certain nombre de choses, on voit que cela bouge, là c’est concrètement des transferts d’argent qui se font avec le mobile, là aussi l’Afrique nous devance.

Jean-Michel Huet, Directeur associé chez BearingPoint : Exactement, c’est aussi une découverte que l’on doit aussi à ce déploiement formidable des télécoms, c’est que dans l’usage et dans les technologies, l’Afrique est en avance sur l’Europe, sur les États-Unis, même sur le Japon. Le paiement mobile est un exemple assez frappant. Le pays au monde où on utilise plus le téléphone mobile pour payer, c’est le Kenya. Rendez-vous compte qu’au Kenya, 30 % des échanges financiers entre personnes se font par téléphone mobile. Alors, d’un autre côté, il y a moins de chèques, il y a moins de cartes bancaires, il y a moins de virements. Il faut se rendre compte que seuls 15 % des Africains ont un compte en banque. Par contre 50 % d’un téléphone, et pour payer un marchand, pour s’échanger de l’argent entre amis, famille, envoyer de l’argent à la mère qui est au village alors que on est dans la capitale, voire dans certains pays maintenant payer ses impôts ou toucher son salaire, cela transite par le téléphone mobile qui devient quelque part votre compte en banque, et ça c’est une vraie révolution. Et effectivement il y a les Philippines, quelques pays asiatiques, qui sont aussi en avance, mais c’est seulement en Afrique que la téléphonie mobile, le paiement par mobile, sont les plus développés. C’est un des exemples marquants où en termes d’usage l’Afrique est en avance, il y a une vraie innovation. Autre exemple, autre domaine, tout ce qui est Mobile santé, la santé par téléphone mobile, le diagnostic par téléphone mobile, c’est de plus en plus répandu en Afrique. On n’en est encore très, très loin en France.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors est-ce que la jeunesse, le fait qu’il y ait des pays, dans beaucoup de pays on voit une jeunesse effectivement importante, cela a joué aussi un rôle dans cet attrait aussi pour le mobile plus rapide ?

Jean-Michel Huet, Directeur associé chez BearingPoint : Tout à fait, cela a joué. Je rappelle que presque la moitié de la population africaine a moins de 20 ans, donc ce n’est pas neutre. Mais même, le téléphone mobile a pris une telle importance en termes d’usage que les adultes, et surtout dans le domaine professionnel, le téléphone mobile est beaucoup utilisé. Je reprends mon exemple de la comparaison entre les télécoms et les routes. Pour des professionnels, des marchands, la très mauvaise qualité des routes en Afrique, le faible parc automobile ou routier aussi est un vrai problème. Le téléphone mobile leur permet de compenser ce problème. Un exemple qui est assez connu, moi que j’ai vu à Saint-Louis du Sénégal par exemple où des pêcheurs, jusqu’à présent quand ils pêchaient, ils arrivaient au port, ils déposaient leurs marchandises, ils mettaient dans un camion, et après ils faisaient le tour des sept à dix marchés de proximité pour vendre leurs produits, et cela faisait de la route. Aujourd’hui les pêcheurs, qu’est-ce qu’ils font ? Ils descendent, ils mettent les poissons, ils prennent leur téléphone mobile, un SMS à leurs sept contacts marchands dans les différents marchés «  Voilà, j’ai 100 kg de capitaine, qui me fait le meilleur prix ? » Ils répondent par SMS et le meilleur l’a emporté. Il ne fait plus qu’un voyage. C’est ça aussi la téléphonie mobile en Afrique, c’est un usage pour les professionnels absolument extraordinaire.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc cela veut dire effectivement que cela aidera à la croissance économique et que cela participe à cette croissance économique de beaucoup de pays africains.

Jean-Michel Huet, Directeur associé chez BearingPoint : Tout à fait, nous avons fait, enfin nous, BearingPoint, mais aussi des bailleurs de fonds, beaucoup d’économistes ont fait depuis une dizaine d’années beaucoup d’études sur l’impact du développement des télécoms sur la croissance économique de ces pays, on estime que 10 % de pénétration de mobiles, c’est un point de croissance en plus. En France quand on voit la difficulté pour avoir de la croissance, c’est assez formidable.

Web TV www.labourseetlavie.com : On en aurait bien besoin. Merci Jean-Michel Huet d’avoir fait le point avec nous sur ces télécoms en Afrique, on rappelle que vous êtes donc le directeur associé chez BearingPoint.

Jean-Michel Huet, Directeur associé : Merci.

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