Christian Parisot Chef économiste Aurel BGC : "Les marchés vont trop vite dans les extrêmes".
Après le QE
La Banque centrale européenne (BCE) a plutôt rassurée les investisseurs en lançant un QE “massif” ou “bazooka”, mais comment évolue les perspectives économiques ?
Ces mesures seront-elles efficaces alors que la Grèce rentre dans une période de turbulences à propos de sa dette.
Nous faisons un tour d’horizon de l’actualité avec Christian Parisot Chef économiste Aurel BGC.
Web TV www.labourseetlavie.com : Christian Parisot, bonjour. Vous êtes chef économiste chez Aurel BGC. On va parler avec vous d’économie et de marchés. Alors bien sûr le post-BCE, ce fameux quantitative easing est arrivé. On pourrait dire que les investisseurs finalement ont relativement bien apprécié ce qui s’est passé, il n’y a pas eu de surprise, finalement la politique monétaire de la BCE reste lisible ?
Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC : Au moins, ils n’ont pas fait d’erreur de communication. Alors, c’était difficile parce qu’il y avait beaucoup d’attente et c’est vrai qu’ils ont réussi à bien communiquer à éviter une surréaction de court terme. On a bien vu que les banquiers centraux… et la banque nationale de Suisse l’a payé un petit peu cet échec de communication, mais c’est toujours difficile à communiquer sur les changes par avance, mais là, la BCE avait préparé le terrain, a bien communiqué vis-à-vis des marchés et donc on a évité une surréaction des marchés. Maintenant, la vraie question, c’est qu’est-ce que l’on fait ensuite ? C’est-à-dire que l’on a intégré le fait que la Banque centrale allait injecter énormément de liquidités sur le marché obligataire. Elle a montré que… Il y a une date de fin mais qui est une fausse date qui allierait… Elle fera tout ce qui est nécessaire pour vraiment relancer l’inflation, relancer les anticipations d’inflation, mais maintenant est-ce que c’est cela qui relance l’économie réelle ? Donc on a deux choix aujourd’hui, deux scénarios. Soit on fait… on a un comportement de marché à la japanisation des marchés, l’idée c’est que le marché action va monter, mais il ne va monter que sur l’idée que l’euro doit s’affaiblir. Donc on jouera les valeurs exportatrices, les valeurs qui auront un effet comptable positif de la faiblesse de l’euro, mais je ne vois pas forcément la reprise de croissance dans la zone euro. Soit on dit véritablement aujourd’hui on a dans les tuyaux quelque chose qui est très positif pour la zone euro entre la faiblesse des prix énergétiques, la baisse de l’euro passé, l’action de la BCE, qui fait que on aura véritablement une source de rebond de l’économie européenne, et là, dans ce cas-là, on achète la bourse européenne en perspective d’amélioration des résultats des entreprises, et là, on jouera plus de valeurs domestiques. Mais on voit que là maintenant il faut faire un choix. Il faut faire un choix entre c’est positif ou c’est négatif et on voit en termes d’allocation d’actifs, en termes de choix des valeurs, ce n’est pas du tout la même chose.
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui parce qu’il y avait clairement des investisseurs qui, sur la partie justement baisse de l’euro ou baisse du pétrole, disaient que, pour certaines valeurs européennes, ce n’était pas suffisant pour effectivement que les marges repartent, en tout cas tel qu’anticipé ?
Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC : Le problème c’est vrai que… Faiblesse de l’euro, c’est plutôt positif en général, mais très peu de valeurs exportent et en plus on n’a pas une conjoncture mondiale qui est très porteuse. Donc on a tendance à se dire « oui, c’est un petit élément supplémentaire mais ce n’est pas cela qui va redynamiser l’économie. » Maintenant on sait qu’aujourd’hui le problème de l’Europe, c’est aussi un problème de confiance, de confiance des entreprises. Alors on se dit là ils vont avoir un petit message qui est positif en termes d’amélioration des marges. On a vu que l’enquête de la BCE sur les conditions de crédit, que les banques commencent à assouplir leurs conditions de prêts. Donc si un chef d’entreprise dit « mes marges s’améliorent grâce à la baisse des prix de l’énergie, s’améliorent grâce à la baisse de l’euro, et puis en plus je peux aller voir mon banquier qui me prête plus facilement qu’il y a encore quelques mois », ce sont des éléments de soutien. Maintenant je ne vous dis pas que c’est l’euphorie mais, aujourd’hui, c’est vrai que cela pourrait être des éléments de révision à la hausse des perspectives de croissance, et c’est pour cela d’ailleurs… on ne va pas se tromper, la réaction des marchés a été aussi de jouer le secteur automobile qui n’est pas forcément… Ce n’est pas évident. La BCE injecte des liquidités, elle fait baisser les taux, et derrière on va consommer de l’automobile, ce n’est pas du tout évident. Mais c’est un élément, je dirais, de confiance. On se dit que cela peut avoir un petit choc psychologique et cela peut redonner la confiance dans des entreprises et aussi dans les ménages qui pourraient consommer un peu plus.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ce qui n’empêche pas qu’il pourrait y avoir des déceptions sur la croissance ou sur d’autres aspects, comme on le voit en France sur le chômage… des aspects concrets, où la croissance ne serait pas suffisante ?
Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC : Là, c’est vrai que… je disais deux scénarios mais c’est difficile de trancher aujourd’hui avec les indicateurs que l’on a parce que l’on a le sentiment que le pire des scénarios, si cela ne redémarre pas, si on est dans un scénario à la japonaise, on ne peut pas dire que c’est l’euphorie. Acheter une valeur parce qu’elle va avoir un effet comptable d’appréciation de l’euro tout en se disant « mais cela ne va pas vraiment stimuler la croissance européenne », ce n’est pas quelque chose qui fait rêver un investisseur Actions. Donc aujourd’hui c’est vrai que l’on est encore dans une phase d’incertitude très forte, et puis on a un risque. Le risque, c’est est-ce que le dollar ne va pas surréagir ? Est-ce que M. Draghi n’en a pas trop fait finalement ? Une chute trop rapide de l’euro… et d’ailleurs on commence à avoir des membres de la BCE qui ont communiqué en disant : « On n’est pas non plus dans une perspective d’effondrement de l’euro, donc on veut bien que l’euro se déprécie mais pas trop vite non plus », c’est toujours pareil, c’est la rapidité du mouvement. Si le mouvement est trop rapide, cela va être aussi une source d’incertitude parce que cela va mettre une pression, cela va déstabiliser certaines économies émergentes, avec la relation, alors elle est difficile à justifier économiquement, mais au moins elle se vérifie à court terme, négative entre le prix des matières premières et dollars, et bien forcément si le dollar s’apprécie trop vite, cela va déstabiliser le prix des matières premières, donc d’autres pays émergents. Donc on voit que c’est aussi… la limite, ce serait que cela marche trop bien, et si cela marche trop bien et que cela fait monter trop vite le dollar, cela va commencer à devenir une source d’inquiétude.
Web TV www.labourseetlavie.com : Du côté des États-Unis, on avait aussi ce scénario 2015. Comment il évolue, selon vous, après les dernières déclarations de la Réserve fédérale américaine et puis l’état de l’économie américaine ?
Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC : C’est vrai que la Fed, elle a un autre problème. La Fed, elle a un autre problème, c’est qu’aujourd’hui les anticipations de marché, c’est de dire elle ne va peut-être rien faire cette année, voire… sur les marchés futurs, vous avez une première hausse des taux en décembre, on pourrait très vite basculer à 2016 et se dire « Finalement, les taux directeurs ne doivent pas remonter ». À l’inverse, on a des membres de la Fed qui, dans leur grande majorité, et c’était encore visible dans les dernières minutes, nous disaient « On va remonter les taux à la mi 2015 ». Donc il y a un écart entre les deux, alors pourquoi il y a cet écart ? C’est aussi parce qu’aux États-Unis on ne croit pas l’inflation, on se dit « aujourd’hui entre un dollar fort, la baisse des prix du pétrole, des signaux un petit peu de ralentissement de l’économie américaine, qui reste quand même assez solide, mais quelques signaux de ralentissement, il n’y a aucune raison pour que la Banque centrale monte ses taux », et de l’autre côté, on a des banquiers centraux qui se disent : « Mais maintenir des taux trop longtemps, durablement trop faibles, ce n’est pas une bonne chose pour l’économie, cela peut générer des risques et puis on aimerait bien commencer à stériliser une partie des liquidités en dollars, commencer un peu à réguler un petit peu cette liquidité. Le seul problème, c’est que l’on ne va pas faire surréagir le dollar. Donc on est dans le… du côté version américaine, c’est-à-dire que du côté BCE, on a fait baisser l’euro, peut-être trop vite, mais on espère que ce sera un soutien à l’économie, et de l’autre, du côté américain, on espère que la hausse du dollar ne va pas commencer à impacter l’économie, ne va pas commencer à affecter le discours des chefs d’entreprise, et là on le voit dans les publications des entreprises américaines, on a des chefs d’entreprise qui commencent à vraiment s’inquiéter sur cet impact de la hausse du dollar et qui commencent à nous dire : « On va commencer à couper les coûts parce que là on ne va pas atteindre nos objectifs de profitabilité », et donc à ce moment-là, cela peut être un élément aussi négatif. Encore une fois, c’est plus l’aspect surréaction du dollar que véritablement appréciation du dollar qui ne les gêne pas vraiment, mais si c’est vraiment trop rapide et trop fort, cela… Donc aujourd’hui, ils sont pris entre deux feux c’est-à-dire que si ils cassent trop les anticipations de remontée des taux, cela va faire monter trop vite le dollar, donc il ne faut pas faire surréagir les marchés, et ça c’est leur principale crainte, mais d’un autre côté, ne rien faire, ce n’est pas aussi une solution puisque l’on maintient trop longtemps les taux bas. Donc moi, j’ai l’impression qu’ils vont naviguer un peu à vue, là, suite à ce qu’a fait la BCE, c’est difficile d’avoir un taux très agressif, donc ils vont peut-être à peine modéré, mais l’idée, c’est quand même de remonter les taux. Donc c’est, je dirais, dans mon scénario, c’était plutôt mi 2015, on va peut-être attendre septembre, mais en tout cas, il y a une vraie volonté aujourd’hui de la Fed de commencer à remonter ses taux et commencer à réguler la liquidité en dollars.
Web TV www.labourseetlavie.com : Quelque part on voit ce scénario 2015 peut-être trop simple, établi en fin d’année dernière, qui est en train de se modifier quand même ?
Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC : Il évolue très vite parce que, c’est toujours pareil, c’est comme le consensus est trop fort, le gros problème de la fin de l’année dernière, c’est que le dollar devait monter, on commence à parler d’une parité eurodollar, franchement, quand il y a des anticipations trop fortes, quand le mouvement est trop évident, cela ne peut pas se passer comme cela. Donc, aujourd’hui, c’est vrai qu’il y a un vrai risque de surréaction, et puis derrière il y a encore beaucoup d’inconnues parce que derrière cela, c’est beaucoup d’incertitudes sur la croissance mondiale. On s’est dit le pétrole, c’est magnifique, cela va relancer l’économie développée, on voit que ce n’est pas aussi simple, rien n’est acquis. Et surtout on voit que les modèles « des économistes » ne réagissent pas comme à l’ordinaire. Donc aujourd’hui je pense qu’il y a aussi une énorme incertitude économique, ce qui fait que les marchés ont tendance à regagner en volatilité, ce qui explique ce début d’année très volatile finalement, plutôt positif parce que on a eu cette annonce de la BCE mais la BCE ne va pas annoncer un QE tous les mois, donc on sait que ce filet de sécurité, il est momentané. Et puis derrière, il va falloir voir dans les statistiques, dans les données d’activité, la confirmation d’une reprise en Europe, la confirmation de la solidité aux Etats-Unis. Donc on a encore beaucoup de sources de révision, et comme toujours, quand on est dans des phases un petit peu intermédiaires comme cela de l’économie, on n’aura jamais des signaux qui vont tous dans le même sens, donc cela générera encore beaucoup de volatilité sur les marchés.
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela veut dire une allocation d’actifs plus prudente ou pas ?
Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC : Le problème c’est que l’on a des thèmes qui tournent très vite sur le marché. Alors c’est très difficile à les prendre. Il y a encore quelques mois, on nous disait “Vendez Total, vendez Total, c’est une valeur pétrole, elle va être affectée par la baisse des cours du pétrole » mais d’un autre côté on s’est aperçu que finalement Total offrait une forte rentabilité. Donc si Total offre un bon rendement en période de chute des taux, on a tendance à racheter Total. Donc, du jour au lendemain, malgré le pétrole qui continue à baisser, on rachète Total. Donc on voit qu’il y a des mouvements comme cela de rotation qui sont très difficiles à gérer pour les gérants, très clairement, cela va trop vite, les marchés vont trop vite et vont trop vite dans les extrêmes. Donc aujourd’hui c’est vrai que l’on est obligé de suivre, on est obligé de suivre les indices. Aujourd’hui il y a un petit retour de confiance, je dirais, parce que la BCE a très bien communiqué. Donc on va suivre un petit peu ce mouvement-là, mais tout en étant très prudent. Si le dollar surréagit, il faudra être prêt à vendre les valeurs dollars, c’est tout le paradoxe c’est-à-dire que hausse du dollar c’est bien, mais mouvement du dollar trop rapide, ce n’est pas bien, donc attention aussi. Donc on va encore sur de la volatilité parce que, pour l’instant, on n’a pas une grande tendance… à mon avis, pour avoir une tendance claire, il faudrait que l’on ait des certitudes économiques, étant que l’on n’a pas ses certitudes économiques, on a du mal à voir ces tendances claires sur le marché.
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui, attention aux excès. Merci Christian Parisot d’avoir été avec nous.
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