Christophe Morel Chef économiste Groupama AM : "Nous pensons toujours que la FED va monter ses taux plus tôt que prévu".
Economie : les perspectives ont-elles changé ?
L’économie mondiale est-elle en phase d’amélioration ? Quelles sont aujourd’hui les tendances économiques majeures ?
Nous parlons de la politique monétaire de la FED, de celle de la BCE, mais aussi des pays émergents.
Mon invité pour en parler est Christophe Morel Chef économiste Groupama AM.
Web TV www.labourseetlavie.com : Christophe Morel, bonjour. Vous êtes chef économiste chez Groupama Asset Management. On va parler avec vous des dernières actualités économiques, bien entendu la politique monétaire au cœur, je dirais, de l’actualité, avec le discours de la Réserve fédérale américaine. Vous, vous étiez, sur cette donnée-là, pas forcément dans le consensus, quand on s’était vu il y a quelque temps maintenant. Aujourd’hui c’est toujours difficile d’évaluer à quel moment cette hausse des taux va venir, pour vous, comment vous interprétez ce qui s’est dit ?
Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM : Déjà, ce que l’on voit, c’est que pour la Fed, c’est clair, la question ne se pose plus, elle va monter ses taux. Elle va monter ses taux parce que tout simplement la situation exceptionnelle de politique monétaire très accommodante n’est plus d’actualité. On n’est plus dans l’environnement de crise financière extrême. Le risque déflationniste est toujours présent mais il s’est largement, largement amoindri, et du côté de la croissance américaine, c’est confirmé, on est sur un chemin de croissance qui est assez robuste, assez solide, assez autoentretenu, même si le début d’année va être un vrai coup de mou, un vrai, vrai coup de mou pour l’économie américaine. Donc, dans cet environnement, il faut monter, d’autant que les retards de production, ce que l’on appelle les output gap sont en passe d’être résorbés. Les retards d’emploi, ce que l’on appelle l’unemployment gap, est aussi en passe d’être résorbé, donc il faut monter. Donc la question se pose désormais à chaque FOMC, elle va se poser, c’est très clair. Nous, nous considérons qu’elle va monter plutôt plus tôt que plus tard, on va dire l’été. Est-ce que c’est juin ? Est-ce que c’est septembre ? Cela peut changer en fonction des données. Les données, comme je vous l’ai dit, peuvent être un petit peu moins bonnes en ce début d’année, donc il est possible que ce soit septembre, mais elle va monter, c’est assez inéluctable.
Web TV www.labourseetlavie.com : Aujourd’hui, quelque part, elle se redonne une marge de manœuvre vis-à-vis des marchés, peut-être pour être un peu moins lisible, c’est toujours cette question quand on regarde le détail du communiqué, on voit les mots qui ont été changés, on voit les tournures de phrases…
Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM : De ce point de vue, on peut considérer que la stratégie de sortie n’est pas gagnée, et cela va mettre du temps, mais que, pour le moment, on peut considérer que la Fed se débrouille pas trop mal parce qu’effectivement, comme vous le dites, elle s’est redonnée plutôt de la flexibilité, elle a enlevé cette notion de temps, elle se concentre uniquement sur les données, et puis, en fonction de ces données, elle agira. Et bien sûr, il faut que les marchés absorbent cela, on le sent bien, cela explique aussi les sous-performances des marchés Actions américains par rapport aux marchés Actions européens, mais c’est plutôt, pour le moment, pas si mal absorbé que cela par les investisseurs. Donc elle est flexible, elle est pragmatique comme toujours, elle verra en fonction des données. Les données qui vont être importantes, c’est l’emploi, c’est évidemment les chiffres d’inflation, et puis il y en a deux autres qu’il va falloir suivre de façon très importante, ce sont les anticipations d’inflation et puis les salaires. Je crois que c’est là au fond que va se situer vraiment le calendrier et puis l’enveloppe, ce sont les salaires. Est-ce que les salaires aux États-Unis sont en train de remonter ? Nous, on regarde, on a plusieurs indicateurs qui nous disent qu’il n’y a pas une accélération salariale mais que, cycliquement, cela va remonter. Et selon les données, elle peut aller plutôt plus vite que ce que l’on pense.
Web TV www.labourseetlavie.com : Aujourd’hui, donc on est assez clair sur cette idée-là. Par contre, on peut se dire, il y a eu des discussions là-dessus, finalement cela peut être assez modéré c’est-à-dire que cette remontée ne sera pas spectaculaire ? Il y a un débat là-dessus.
Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM : Oui, c’est cela. Alors aujourd’hui, c’est clairement le point de vue des marchés c’est-à-dire que cela va être très, très modéré, c’est le point de vue des marchés. C’est aussi plutôt ce qu’ils souhaitent, ce qu’ils ont plutôt en vue, et à chaque fois, les marchés ont plutôt sous-estimé l’ampleur du resserrement, ils ont toujours d’ailleurs sous-estimé l’ampleur de la politique monétaire accommodante lorsqu’elle a baissé. Ce que l’on voit en revanche, c’est que la situation économique américaine, par elle-même, ne justifie plus depuis longtemps d’avoir cette politique monétaire aussi accommodante et si, finalement, la Fed a pris du temps, c’est très lié à l’environnement international, et en particulier aux risques européens. Et de ce point de vue, le fait que la BCE a fait son job, en tout cas la Fed le considère, le fait que cela s’améliore du côté de la conjoncture européenne, il y a quand même des nuages qui se dissipent.
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui parce que c’était effectivement l’autre pendant de ces politiques monétaires, c’est de voir comment entre les banques centrales effectivement cette coordination peut se passer. On pouvait avoir peur et se dire que finalement si cela se passait trop vite aux États-Unis, l’Europe en souffrirait rapidement, on va dire, deuxième semestre 2015. Aujourd’hui, le QE européen, l’économie européenne, il y a des signaux plus positifs ?
Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM : Oui. J’ai envie d’utiliser le terme de grande constellation c’est-à-dire qu’il y a simultanément, c’est cela qui est intéressant et qui est important, simultanément des facteurs de soutien conjoncturel. Il y a la baisse du prix du pétrole, elle est forte, durable, et on peut parler d’un contre-choc pétrolier, c’est une baisse qui est d’autant plus intéressante, c’est qu’elle est liée à l’offre, c’est l’offre qui est en train de monter, ce n’est pas la demande. Donc c’est un vrai soutien conjoncturel. Ensuite, il y a des politiques monétaires qui sont de plus en plus accommodantes, vous avez cité du côté de la BCE, mais dans le reste du monde aussi, elles sont plus accommodantes. On a à peu près une quinzaine de banques centrales qui ont baissé les taux depuis trois mois, et les conditions financières aussi s’améliorent, le coût du crédit est en train de baisser, les actifs risqués sont en train de monter, ce qui veut dire que le coût du capital est en train de baisser, donc ça c’est plutôt positif. On a un euro qui baisse, donc ça, évidemment, c’est un facteur de soutien pour la conjoncture européenne. Et puis enfin, on a des politiques budgétaires qui ne sont plus restrictives. Elles l’ont été entre 2010 et 2013 c’est-à-dire que l’ensemble des états européens a fait des efforts, les déficits structurels, comme on dit, qui traduisent la discipline budgétaire, se sont améliorés, et 2014-2015-2016 et même 2017, cela ne se durcit plus. Cela veut dire que la politique budgétaire, ce n’est pas forcément un soutien, mais ce n’est plus un frein comme cela l’a été. Donc si l’on met tout cela ensemble, oui, on a une constellation qui est de dire la dynamique conjoncturelle, elle va être plutôt positive, et on attend effectivement une amélioration cyclique en zone euro.
Web TV www.labourseetlavie.com : Et on peut dire malgré ces fameuses dettes publiques, ce sujet des dettes publiques où on se dit cela pèse sur la conjoncture et on ne voit pas comment la France ou d’autres vont se sortir de ces dettes publiques. Là on voit des discussions pour dire qu’il y a encore un effort à faire et on parle de milliards ?
Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM : C’est très juste c’est-à-dire que, voilà, il y a de la bonne nouvelle conjoncturelle, il y a de l’amélioration cyclique, maintenant, pour les raisons que vous avez évoquées, c’est-à-dire l’endettement public mais aussi l’endettement privé, on s’est un peu désendetté du côté des ménages espagnols, portugais, grecs, mais on reste sur des niveaux de dettes qui sont assez élevés, la dette des entreprises reste, bon an mal an, dans plusieurs pays, plutôt assez élevée. Donc quand vous avez de la dette publique et de la dette privée, nous on a du mal à franchir le cap qui consiste à dire que l’on est sur un chemin de croissance assez dynamique, assez durable, assez équilibré, assez autoentretenu. Voilà, il y a des bonnes nouvelles conjoncturelles mais cette dette va peser sur la croissance. Alors, la dette aujourd’hui, nous on a toujours insisté dans notre scénario, ne l’oublions pas, ce n’est pas un problème aujourd’hui puisqu’il y a de la croissance ou de la perception de croissance, et ce thème-là reviendra, pas tout de suite, le jour où dans quelques années on retournera en récession, on s’apercevra que la stabilisation uniquement de ces ratios d’endettement, cela ne suffit pas parce que ces rations vont remonter, et à ce moment-là, on se reposera la question de la soutenabilité de la dette. Mais aujourd’hui ce n’est pas un problème systémique pour les marchés, mais cela va caper la croissance.
Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin sur les pays émergents. On a vu que la Chine avait un petit peu le hoquet, comme on dit, sur le plan économique, est-ce que cela peut durer compte tenu de ce qui s’est passé aussi sur les devises, bien sûr on pense au dollar ?
Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM : C’est intéressant parce que je crois que c’est la première fois depuis longtemps où on peut dire que du côté des pays développés cela va mieux et puis des pays émergents, c’est plutôt des maillons faibles. On a connu des environnements où c’était l’inverse, les pays émergents sont les maillons forts, les pays développés sont les maillons faibles ou alors les deux étaient des maillons faibles, et là, il y a quelque chose qui est un petit peu opposé. Sur les pays émergents, globalement, ce que l’on peut dire, c’est que beaucoup d’entre eux connaissent des chocs spécifiques, donc la Russie avec la baisse du prix du pétrole, la Turquie avec le risque politique, le Brésil avec le choc fiscal, tous vont connaître à peu près un choc commun qui est la remontée des Fed Funds, et cela dans un contexte où, pour la plupart d’entre eux, il y a des grosses interrogations sur leurs modèles de croissance. Vous avez cité la Chine, un modèle qui était basé sur les exportations, c’est remis en question. Au Brésil, en Inde, on doit rééquilibrer la croissance vers plus d’investissement. Et enfin, comme vous l’avez dit, pour beaucoup d’entre eux, il y a plutôt de la dette qui est en train de monter. Alors, la bonne nouvelle sur cette dette, c’est que ce n’est pas de la dette publique, il n’y a pas la même vulnérabilité comme on a connu auparavant, et puis surtout il y a des réserves, il y a un coussin pour amortir. La mauvaise nouvelle, c’est que cette dette, c’est de la dette privée, de la dette dans les entreprises, très souvent en devises. On a utilisé le terme « le carry » , on s’est endetté en dollars, on est vulnérable à ce qui se passe aux États-Unis, à la remontée des taux, à la baisse du dollar. C’est absorbable. Je crois que l’enjeu principal sur les pays émergents, c’est assez nouveau, c’est, au fond, on a des ressources publiques, on a des besoins qui sont privés, et à ce que l’on alloue bien correctement ses ressources publiques à ses besoins privés ? Le bon exemple c’est Petrobras. Donc c’est un enjeu de politique économique. Et si on y arrive en temps, en heures et avec les moyens, ce n’est pas un problème. C’est un enjeu qui est plus de liquidités et donc le risque est un risque plutôt de liquidités.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc c’est significatif pour les investisseurs. Merci Christophe Morel.
Christophe Morel, chef économiste chez Groupama AM : Merci beaucoup.
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