Christophe Nijdam Analyste chez Alphavalue : "La dépendance des banques françaises au guichet de la BCE n'est pas prête de s'effacer".
Banques - Liquidités : Etat des lieux pour les banques françaises et européennes

11 juillet 2013 21 h 58 min
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Banques : La question de la liquidité est importante pour les banques françaises.

Selon notre invité Christophe Nijdam, analyste chez Alphavalue et considéré par l’agence Bloomberg comme l’un des meilleurs analystes financiers du secteur, “les banques françaises ont repris leurs mauvaises habitudes, en étant accros aux activités de trading de marché, elles sont devenus accros en matière de financement, au financement à très court terme et volatile procuré par les Sicav monétaires américaines“.

La dépendance des banques françaises au guichet de la BCE n’est pas prête de s’effacer” 

Tour d’horizon des questions liées à l’activité des banques : réseau international, banques de dépôts, bilan des banques, financement court terme, sicav monétaires américaines, selon l’analyste, “la crise n’est pas terminée pour les banques”.

Web TV www.labourseetlavie.com : Christophe Nijdam, bonjour. Vous êtes analyste chez Alpha Value, spécialiste du secteur bancaire. On va parler avec vous justement de ces banques. Si on s’attache uniquement aux résultats qui ont été publiés au cours des derniers mois, on pourrait dire que globalement on a l’impression que cela s’améliore du côté du secteur bancaire, qu’est-ce qui vous intéresse vous aujourd’hui sur ce secteur bancaire ? Est-ce que vous trouvez que les banques françaises, si on commence par elles, vont mieux ?

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Elles vont relativement mieux. Vous savez qu’un des gros problèmes pour les banques françaises, depuis notamment l’été 2011, c’était la question de la liquidité. Il y a une amélioration à ce niveau-là, cela dit cette amélioration n’est pas vraiment suffisante et cela demeure un petit peu leur talon d’Achille. Je dirais même, elles ont repris un peu leurs mauvaises habitudes car en étant accro aux activités de trading, de marché, elles sont redevenues accros en matière de financement, aux financements à très court terme et volatiles procurés par les sicav monétaires américaines.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc on pourrait dire que de ce côté-là, malgré peut-être ce que l’on a entendu où on avait l’impression qu’il y avait des nouveaux programmes mis en place, des modifications quelque part du business model de la banque universelle française, il y a encore beaucoup d’efforts à faire ?

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Il y a encore beaucoup d’efforts à faire. Pour l’instant le business model proprement dit n’a pas été modifié, d’ailleurs la communauté des analystes attend avec beaucoup d’impatience que les grandes banques françaises cotées en Bourse leur soumettent pour fin 2013, voire début 2014, des nouveaux plans d’affaires, justement parce que nous avons, certains d’entre nous en tout cas, des inquiétudes quant au business model de ces banques françaises dites universelles.

Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que les banques françaises sont à part en Europe ou est-ce que, quand on regarde ce qui s’est passé en Angleterre ou ce qui se passe dans d’autres pays, elles sont, je dirais, de la même manière que les autres banques, dans la même situation ? Est-ce qu’il y a une vraie situation française ?

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Alors, il y a une vraie situation française qui est liée à ce fameux modèle de banque universelle que l’on loue beaucoup, d’après moi c’est plutôt une fragilité qu’une résilience, c’est évidemment lié à deux choses, d’une part des activités de marché qui restent trop importantes, et un réseau international là aussi trop important. Quelques chiffres, sur les 37 banques européennes cotées que l’on suit sur 13 pays, quand on regarde justement la taille des  activités de marché au bilan, sur les 37 banques, inclus les banques françaises, c’est à peu près 33 % du bilan. Quand on regarde uniquement les quatre banques cotées que l’on suit, BNP, Natexis, Crédit Agricole et Société Générale, c’est 39 %, bref c’est 6 points de plus en termes de taille d’activités de marché, et on retrouve ces 6 points de plus, ce que j’appelle le talon d’Achille, au passif c’est-à-dire au niveau du financement, et quand on regarde les financements court terme dans le cas des banques françaises, effectivement elles sont dépendantes plus que les autres banques européennes à hauteur du même 6 % de la taille du bilan, ce qui n’est pas négligeable.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc aujourd’hui on pourrait dire en même temps que la Banque Centrale Européenne est toujours là pour soutenir les banques, il n’y a pas de changement de discours d’ailleurs de M. Draghi à ce sujet, le guichet reste ouvert.

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Pour l’instant le guichet reste ouvert et c’est tant mieux parce que la dépendance des banques françaises au guichet de la BCE d’après moi n’est pas près, disons, de s’effacer. Cela étant dit, cela n’est pas la vocation d’une banque centrale que de fournir des liquidités à telle ou telle banque parce que son modèle économique fait qu’il est plus dépendant de financements court terme volatiles, et quand ces financements court terme volatiles s’évanouissent, il ne reste plus que le dernier rempart de la banque centrale. Mais vous avez quand même remarqué qu’en matière de banque centrale, en tout cas aux États-Unis, ce qui a créé des soubresauts sur les marchés financiers ces dernières semaines, on parle tout doucement justement de retirer un tout petit peu le quantitative easing, donc des liquidités, et l’impact a été assez net sur les marchés. J’imagine que dans les banques françaises et les salles de marché ces dernières semaines les résultats sont plutôt médiocres, à cause de cela.

Web TV www.labourseetlavie.com : On pourrait dire qu’en même temps en France, si on revient à la France, que du côté du gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, au mois de mai dernier, il avait l’air de dire qu’effectivement… ou de contester en tout cas une analyse de Moody’s sur le sujet qui parlait de sommes importantes pour les banques françaises, et lui il avait l’air de rassurer, on va dire, les marchés en disant « finalement non, les banques françaises sont dans une situation tout à fait favorable ».

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Le gouverneur est dans son rôle, cela dit il a peut-être fait un peu manque de réserve et de retenue pour un banquier central parce que lors de cette conférence de presse pour la remise du rapport annuel de l’autorité de contrôle prudentiel, il a été assez virulent et violent vis-à-vis de l’agence de notation Moody’s. Cela n’est pas moi qui vais défendre une agence de notation américaine. Il n’en demeure pas moins que, ayant regardé moi aussi les chiffres, je corrobore les chiffres avancés par Moody’s qui parle d’un déficit de liquidités de 1200 milliards d’euros pour le système bancaire français, moi j’arrive sur un périmètre un petit peu plus petit puisque on n’intègre pas dans notre couverture des entreprises bancaires non cotées comme les Banques Populaires alors que l’on couvre la filiale Natexis, j’arrive à un chiffre très similaire de 1029 milliards. Donc cela se recoupe, et cela se recoupe, ce chiffre, avec d’autres analyses faites comme par exemple le cabinet Mac Kinsey.

Web TV www.labourseetlavie.com : Aujourd’hui des chiffres que contestent les banques françaises en disant qu’effectivement elles ne sont pas dans ces besoins-là ou en tout cas on voit dans d’autres pays, à l’inverse, qu’il y a des besoins en Angleterre, qu’il y a un certain nombre de besoins, les banques françaises seraient à part ?

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Elles sont à part en ce sens qu’en termes de besoins pour la liquidité, elles sont championnes d’Europe. Mac Kinsey qui a sorti une étude sur le ratio de liquidité à moyen terme, ce que l’on appelle le NSFR, à ne pas confondre avec celui à 30 jours qui s’appelle le LCR, a effectivement indiqué qu’au niveau du système bancaire européen, il manquait à peu près pour la liquidité 1200 milliards d’euros une fois encore, mais pour les seules banques françaises c’est 433 milliards d’euros et c’est le montant absolu le plus important de tous les systèmes bancaires européens.

Web TV www.labourseetlavie.com : On pourrait se dire si votre analyse est juste, pourquoi les banques françaises font cela, restent dans cette position, ne changent rien sachant que depuis, on est, maintenant c’est au Sénat, il y a une loi de régulation bancaire, on a l’impression qu’il y a eu un certain nombre de choses qui ont été faites, pourquoi ne changent-elle pas de stratégie ?

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Elles ne changent pas, première chose c’est que la loi bancaire que vous évoquez ne change rien, donc puisque la loi ne change rien, pourquoi changeraient-elles ? Deux petits chiffres très rapides là-dessus, sur la loi de M. Moscovici, la partie du chiffre d’affaires d’une grande banque comme par exemple BNP Paribas qui devrait être filialisée, même pas séparée, c’est 0,5 % de son chiffre d’affaires. Les préconisations européennes qui vont dérailler à cause de la loi Moscovici, les propositions européennes du rapport Likanen sur la même banque, ce n’est pas 0,5 %, c’est 13 %, et en plus il s’agit des chiffres 2011. Donc en fait le projet français est 26 fois moins ambitieux que les propositions européennes, donc du coup les banques françaises se disent « on ne change pas trop ».

Web TV www.labourseetlavie.com : On a vu en Angleterre en revanche il y a un certain nombre de mesures, et un effet encore, bien entendu, mais on parle de criminalisation en quelque sorte des attitudes des banquiers qui franchiraient les lignes jaunes dont on a parlé et de report de bonus au bout de 10 années, donc vraiment des mesures assez fortes, et surtout la criminalisation, cela paraissait un argument assez fort contre les banquiers qui seraient tentés de refaire la même chose.

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Oui tout à fait, pour l’instant, il n’y a pas de pénalisation dans la loi française alors qu’elle est envisagée dans la loi allemande qui s’est elle engouffré sur les propositions françaises. Un petit point de rappel historique concernant les activités de marché, donc ce que l’on appelle les banques d’affaires. Auparavant, avant que ces banques d’affaires soient, soit absorbées dans le cadre de banques dites universelles, soit introduites en bourse comme aux États-Unis, comme un Goldman Sachs, comme un Morgan Stanley, ces banques d’affaires étaient juridiquement ce que l’on appelait des partnerships. Les parnterships cela voulait dire qu’à cette époque-là les partners étaient en risque illimité sur leurs biens propres. Croyez-moi que ce genre de choses fait qu’à l’époque ils ne prenaient pas les risques inconsidérés qui ont été pris sur le marché avec l’argent des autres.

Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin, on peut rappeler aussi et préciser que vous faites partie des meilleurs analystes du secteur reconnu par Bloomberg au cours des 12 derniers mois puisque vous êtes N° 2 ex aequo, donc vous connaissez bien et vous êtes reconnu sur ce secteur, en conclusion pourquoi cela ne change pas ? On en a parlé, mais cela veut dire concrètement quoi ? Que la crise du secteur bancaire n’est pas terminée en France, la crise des banques françaises n’est pas terminée ?

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : La crise n’est pas terminée pour les banques françaises pour une simple raison, c’est que le modèle dit universel est de mon point de vue plombé de façon durable et que pour l’instant elles ne savent pas encore quel modèle lui substituer pour l’avenir. Les dirigeants actuels des banques françaises n’avaient connu que ce modèle universel qui, quelque part, était une illusion, une illusion en ce sens que l’on gagnait de l’argent dans les salles de marché avec des risques importants, mais tout simplement sous couvert de la garantie implicite de l’État. Ceci est désormais un peu plus compliqué parce que cela engendre un déséquilibre énorme au niveau de la liquidité et la crise de liquidités du deuxième semestre 2011 l’a rappelé extrêmement violemment. Pour justement être un peu moins vulnérable au niveau de la liquidité, les banques françaises ont du coup dû maintenir des dépôts auprès des banques centrales beaucoup plus importants que par le passé, multipliés par 10 par rapport à 2006, or ces dépôts sont très mal rémunérés, et cela plombe le modèle économique parce qu’il y a moins de marge nette d’intérêt, il y a moins de chiffre d’affaires.

Web TV www.labourseetlavie.com : On suivra forcément ce qui se passe sur ce secteur bancaire vu l’analyse que vous faites aujourd’hui, merci Christophe Nijdam d’avoir été avec nous, on rappelle que vous êtes donc analyste chez Alpha Value.

Christophe Nijdam, Analyse chez Alpha Value : Merci Didier.

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