Economie et Marchés : Interview de Christian Parisot Chef économiste Aurel BGC.
Europe ou Etats-Unis, émergent, les questions économiques qui se posent aux investisseurs

12 avril 2013 9 h 23 min
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Europe ou Etats-Unis, émergent, les questions économiques qui se posent aux investisseurs.

Après un premier trimeste marqué par plusieurs crises en Europe (Italie, Chypre), la stratégie d’investissement doit-elle évoluer ?

Aux Etats-Unis, les indices (S&P500) sont au plus hauts, alors même que des incertitudes demeurent sur la croissance et les questions liées aux réductions de dépenses.

Nous faisons avec notre invité Christian Parisot Chef économiste Aurel BGC, un tour d’horizon des sujets économiques et des implications sur les marchés.

Web TV www.labourseetlavie.com : Christian Parisot, bonjour. Vous êtes chef économiste chez Aurel BGC. On va parler avec vous de perspectives économiques et de conséquences pour les investisseurs qui ont connu, on peut dire, une fin d’année 2012 intéressante pour ceux qui étaient sur les marchés actions, au final une bonne année 2012 pour l’ensemble des classes d’actifs, ce qui peut paraître étonnant, et puis 2013 maintenant est bien entamée, on a eu un certain nombre de crises, italienne, Chypre, on a l’impression tout de même, globalement, que l’excès de liquidités ou les liquidités en tout cas abondantes permettent aux investisseurs de presque ignorer, un petit peu, les soubresauts des marchés.

Christian Parisot, chef économique, Aurel BGC : Oui, c’est un peu ça c’est-à-dire qu’aujourd’hui on a eu un discours très fort, très important, de la part de M. Bernanke, mais aussi au Japon on a vu une volonté très ferme de la banque centrale du Japon de relancer son économie. Alors si on prend le cas des marchés américains, on est sur des plus hauts historiques, mais pas sur des bonnes nouvelles sur les sociétés, c’est là où c’est un peu gênant quelque part pour nous, c’est-à-dire que ce ne sont pas des révisions à la hausse des bénéfices qui ont propulsé les indices américains, c’est juste une logique de dire « M. Bernanke est là, lui et la Fed, ils sont là, ils sont prêts à acheter le marché obligataire », dont il baisse les taux longs de manière un peu artificielle, donc aujourd’hui il n’y a rien à gagner sur le marché obligataire. On sait que les taux resteront durablement bas, donc qu’est-ce quel’on fait ? On investit un peu par défaut sur les actions. Mais moi ce qui me gêne aujourd’hui, c’est que l’on a eu tout au long du 1er trimestre des révisions à la baisse des bénéfices des sociétés, juste un chiffre, 75 % des entreprises du S&P ont révisé à la baisse leur guidance, leurs prévisions sur le 1er trimestre, donc on voit qu’il n’y a pas une conjoncture porteuse. La situation reste difficile, mais on a monté sur une logique purement déclaration de M. Bernanke, comme on dit aux Etats-Unis, vous ne pariez pas contre la Fed, donc aujourd’hui c’était impossible de vendre le marché tant qu’il y avait ce discours-là. Alors, le problème, ça c’est bien à court terme, mais derrière il y a toujours un rappel un petit peu des fondamentaux et ce qui me gêne c’est monter que sur cette logique-là, on voit qu’il y aura une limite au bout d’un moment, soit l’économie américaine repart et M. Bernanke aura du mal à justifier ses perfusions, soit effectivement la situation économique est très mauvaise aux États-Unis, mais dans ce cas-là on va dire « c’est bien d’injecter des liquidités, mais l’économie ne redémarre pas et c’est négatif ». Donc je pense que ce jeu-là arrivera forcément à sa fin, il faut vraiment avoir les fondamentaux qui suivent derrière.

Web TV www.labourseetlavie.com : Justement, si on se place pour la zone euro, sur l’Europe, on pourrait dire que c’est un peu la même chose sauf que celui qui est en tête s’appelle Mario Draghi et que c’est lui qui effectivement depuis juillet l’an dernier a quelque part rassuré les investisseurs en disant il sera toujours là en cas de crise et donc cela a été un peu le Bernanke européen.

Christian Parisot, chef économique, Aurel BGC : C’est vrai que la BCE a bien rassuré les marchés. Il a rassuré les marchés sur un point essentiel « j’apporterai de la liquidité dans le financement des états si il y a un grave problème » c’est-à-dire que l’idée, c’est que si l’État espagnol n’arrive pas à se refinancer sur les marchés, il y aura une sorte de prêteur en dernier ressort sous certaines conditions mais il y aura quelqu’un qui permettra à l’État espagnol de ne pas faire défaut, donc ça, ça a rassuré. Maintenant, il y a quand même quelques petits éléments qui montrent qu’il y a une petite faiblesse en Europe. Le premier élément c’est quand même cette crise à Chypre qui a montré que finalement l’Europe n’était pas prête systématiquement à appeler le contribuable, à prendre de l’argent dans le contribuable pour sauver un système bancaire. Donc déjà on commence à montrer aux investisseurs, si vous investissez sur des banques, des banques à risque, vous avez, vous savez le fameux moral hasard, on ne refait pas Lehman, on ne va pas prendre un risque de mettre en faillite une banque, et bien si, si vous investissez sur une banque difficile, en difficulté, vous risquez de tout perdre parce que on aura peut-être une restructuration, et là, à ce moment-là, ce n’est plus la BCE qui joue ce rôle, ce sont les autorités européennes qui font payer les investisseurs et même peut-être les déposants au-dessus des 100 000 €. Donc on voit qu’il y a déjà des éléments qui sont…, on voit la limite, la BCE fait beaucoup en apportant de la liquidité, mais derrière, quand il s’agit de remettre des fonds propres dans les banques, quand il s’agit de parler aux états et de leur dire « il faut que vous assainissiez vos finances publiques », on voit qu’il y a des limites. Autant aux États-Unis on a le sentiment que M. Bernanke est prêt à tout pour relancer l’économie et que finalement peu importe les conséquences, peu importe le fait même…, dernièrement il nous disait le risque bancaire augmente aux États-Unis parce que on a concentré les banques, on a un risque systémique qui augmente, alors qu’en Europe on dit on est prêt aujourd’hui à mettre en faillite des banques. Donc on voit qu’il y a deux discours très différents, il y a deux limites, il y a deux perspectives de risque. Et puis l’autre élément, et c’est là où on voit aussi la limite, c’est que M. Bernanke nous dit « ne vous mettez pas en face de moi parce que moi je vais tout faire pour relancer l’économie américaine, je ferai baisser le taux de chômage », donc il y a un discours très volontariste, la BCE dit « moi j’ai fait mon travail, j’ai apporté la liquidité, j’évite un bank run, j’évite qu’il y ait des problèmes de liquidités, mais derrière la relance de l’économie, il faut assainir les finances publiques, il faut assainir les économies, il faut se restructurer ». Donc il n’y a pas du tout le même discours et on voit que derrière c’est vrai que l’Europe peine à redémarrer, peine à reprendre, donc on a vraiment deux images très différentes entre les deux régions.

Web TV www.labourseetlavie.com : On avait aussi eu beaucoup d’espoirs sur les pays émergents, c’est vrai quand on regarde, il faut distinguer les perspectives économiques de ce qui se passe sur les marchés parce que parfois ce qui s’est passé sur les marchés n’est pas forcément favorable aux investisseurs, on voit la Chine effectivement avec un nouveau gouvernement, avec des nouvelles mesures, est-ce que la Chine ce n’est pas aussi un des risques 2013 ?

Christian Parisot, chef économique, Aurel BGC : Déjà, premier enseignement, je ne vous aurais pas dit la même chose au mois de décembre, premier élément, on parle toujours des émergents, là les enseignements des dernières statistiques sur les émergents, c’est qu’il n’y a pas des émergents, il y a plutôt des émergents, pleins pays émergents, et qui ont aujourd’hui des mouvements un peu disparates c’est-à-dire que l’on a des grosses déceptions sur le Brésil qui a du mal à redémarrer, on est plutôt en phase de révision à la baisse, alors attention, révision on disait 4 % de croissance, on sera à 3, mais on est quand même sur une baisse de la révision on reste quand même sur des taux de croissance fort, mais on révise un petit peu à la baisse. Et puis il y a cette Chine. Alors, cette Chine on sort d’une période assez difficile puisque on sort d’une période où on a eu le Nouvel An Chinois qui a beaucoup brouillé nos données, mais on s’aperçoit que c’est très complexe la Chine parce que la Chine, déjà, d’une part, fait oublier les taux de croissance à deux chiffres très importants, la Chine aujourd’hui, ils veulent avoir une croissance plus saine, un peu différente en termes de nature c’est-à-dire avec un poids des services plus important que l’industrie, donc cela veut dire que aujourd’hui ils sont en phase un petit peu de restructuration mais avec des mouvements un peu contradictoires. Alors je vais vous prendre un exemple tout bête, aujourd’hui les ménages chinois épargnent beaucoup et placent leur épargne sur l’immobilier, ce qui engendre une bulle immobilière. Donc le gouvernement fait tout pour réduire, contraindre, limiter les achats immobiliers des ménages, donc l’idée ce serait de dire « on vous augmente en salaire, consommez, développez la demande intérieure, mais n’allez pas épargner 25 % de vos revenus et n’alimentez pas une bulle immobilière », donc on va dire ça c’est négatif sur la croissance parce que l’on pourrait dire que ce serait bien de développer le secteur de la construction, faire des maisons même vides, mais cela crée de la croissance. Donc on n’est plus sur cette logique là aujourd’hui, ils ne sont plus à favoriser ce type de croissance. A l’inverse, ils nous disent « on a un super plan de maisons sociales où on va investir énormément », donc on restimule la croissance par là. Donc tout le jeu de la Chine aujourd’hui, c’est de changer de modèle de croissance, de réduire la part de l’industrie, mais réduire la part de l’industrie, restructurer l’industrie cela coûte en croissance, donc ils vont peser sur la croissance par cela pour développer les services.

Web TV www.labourseetlavie.com : Quelque part plus de volatilité ou d’hésitation…

Christian Parisot, chef économique, Aurel BGC : Voilà, il y a un jeu de vases communicants dans la politique, mais derrière, in fine, on ne peut plus s’attendre à des taux de croissance très forts, et ça les matières premières l’ont très bien compris, on l’a vu sur le 1er trimestre c’est-à-dire que l’on se dit maintenant le moteur chinois, il est encore là parce que si on fait du 7,5 – 8 % c’est très bien, mais cela ne sera pas du 10 % d’une part et cela ne sera pas une relance aujourd’hui, on ne fera plus des relances par le bâtiment, par la construction, de la même façon et donc on est sur des niveaux de croissance beaucoup plus faibles.

Web TV www.labourseetlavie.com : Un mot aussi également de l’or, c’est assez spectaculaire ce qui s’est passé sur l’or, on a vu cette baisse au cours des derniers mois, qu’est-ce que cela veut dire sur le sentiment des investisseurs par rapport aux marchés financiers ?

Christian Parisot, chef économique, Aurel BGC : Il y a plusieurs éléments qui jouent un peu ensemble, c’est d’une part il y a le sentiment que si on veut avoir vraiment un actif sans risque, pourquoi ne pas prendre l’obligataire, pourquoi ne pas prendre l’obligataire d’État, et on a vu que l’or a un peu perdu son appétit au moment où les gens se sont dit « les taux ont atteint un seuil, ils ne vont pas baisser beaucoup plus », alors peut-être qu’ils ne remonteront pas mais ils ne baisseront pas plus, et là on voit qu’il y a un petit arbitrage parce que un coût d’opportunité, l’or ne vous rapporte aucun rendement, une obligation d’État américain, est-ce que ce n’est pas aussi une valeur refuge et vous rapporte un petit peu de rendement ? Donc il y a peut-être eu un arbitrage comme cela. Il y a aussi le fait que la perception de risque systémique d’effondrement du système, il est un petit peu quand même en recul, on a un petit retour de confiance. Aux États-Unis en tout cas, vous n’entendrez plus les investisseurs vous dire « une banque américaine va sauter demain », les banques américaines se sont recapitalisées, elle sont sûres. Il n’y a plus cette défiance très forte vis-à-vis des banques, et au pire, allez, si vous n’êtes pas confiants sur l’Europe, ce qui peut arriver encore aujourd’hui, vous dites « ce n’est pas bien », vous avez encore la possibilité de déposer votre argent dans une banque américaine, et il n’y a plus cette recherche à tout prix de la sécurité, de mettre son lingot d’or quelque part et de dire « voilà, si toutes les banques, si tout le système fait faillite, j’aurai encore mon lingot d’or ». Donc je pense qu’il y a encore cet aspect-là qui est quand même revenu sur les marchés, on a quand même beaucoup progressé, on réduit les risques extrêmes et cela pèse beaucoup sur l’or, et après il y a l’or matière première en tant que telle et on voit que naturellement, l’or il dépend de quoi ? L’or cela va dépendre du secteur électronique, on voit qu’il y a une grave crise dans les semi-conducteurs et donc la demande d’or baisse, on voit que la demande d’or dans tout ce qui est santé est peu dynamique, donc on voit que industriellement il y a aussi une demande d’or qui a beaucoup, qui s’est beaucoup tassée.

Web TV www.labourseetlavie.com : Si on se projette sur les trois prochains mois, compte tenu de ce contexte que l’on a évoqué ensemble, qu’est-ce que cela veut dire pour l’investisseur, est-ce qu’il est forcément plus prudent et quel choix doit-il faire ?

Christian Parisot, chef économique, Aurel BGC : Nous, on devient un peu plus prudent c’est-à-dire que on était assez positif sur ce début d’année. Pour être honnête, on pensait que la Chine allait redémarrer beaucoup plus fort, on est un peu déçu par les dernières statistiques et on voit que cela sera une reprise plus modéré, aux Etats-Unis on a vraiment peur qu’il y ait un ralentissement assez important sur la croissance américaine parce que, n’oubliez pas, il y a 85 milliards de coupes budgétaires, mais sur 9 mois, c’est-à-dire que d’ici septembre, il va falloir vraiment avoir des coupes drastiques. Alors, soit les Américains sont formidables et ils réussissent à couper leurs dépenses sans que cela affecte l’économie, ce qui est peu probable, en Europe on a testé, on a vu que cela avait un impact très fort, donc je pense qu’il va y avoir quand même un petit effet assez fort. On le voit déjà, vous avez les enquêtes aujourd’hui qui sont réalisées auprès des chefs d’entreprise, ils n’ont pas vu encore ces coupes budgétaires que déjà ils nous annoncent « on a réduit nos commandes, on réduit nos embauches, on modère un peu nos embauches parce que on a une incertitude économique » sous-entendu on va voir ce qui va se passer. Donc je pense que les Etats-Unis vous quand même donner un petit peu une inflexion et je pense que l’on peut pas être indéfiniment sous la protection du Fed. À un moment donné, il va falloir aussi que les chefs d’entreprise nous disent il y a une vraie reprise et j’ai un peu peur que ce message n’arrive pas sur les présentations des résultats des entreprises sur le 1er trimestre, et surtout dans leur discours, on n’ait pas ce message en disant « cela repart fortement ». Donc si on n’a pas ce message-là, avec des indices américains au plus haut historique, cela les fragilise quand même un petit peu, et puis du côté européen, on a quand même encore beaucoup d’incertitudes, l’Italie, etc. On a été très protégé au 1er trimestre par l’envolée des indices américains, mais si les indices américains piquent un peu du nez, en Europe, on voit que l’on aura du mal à progresser, donc prudence sur l’Europe à court terme. La tendance haussière n’est pas remise en cause parce que nous on reste toujours dans un scénario d’amélioration de l’activité pour fin d’année, début de l’année prochaine, donc on pourra rejouer un petit peu cela, mais là il faut un petit peu respirer. On a eu quand même une hausse un petit peu exceptionnelle et puis surtout très déconnectée des fondamentaux, et c’est peut-être cela qu’il va falloir un petit peu corriger ces excès.

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci d’avoir fait le point avec nous, Christian Parisot, chef économiste chez Aurel BGC.

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