Economie : Interview Philippe Waechter Chef économiste Natixis AM : "La France est fragilisée parce que sa demande interne, sa consommation, son investissement s'infléchissent ".
PIB en France, croissance aux Etats-Unis, Zone euro, marchés émergents...
Avec mon invité Philippe Waechter Chef économiste Natixis AM,
Tour d’horizon des sujets économiques qui font l’actualité avec pour commencer la croissance nulle en France, (vidéo en extrait disponible ici : http://www.labourseetlavie.com/videos/analystes-et-economistes/economie-france-la-reaction-de-philippe-waechter-chef-economiste-natixis-am,1666.html)
mais aussi, la croissance aux Etats-Unis et la politique monétaire de la Fed, la zone euro et/ou les pays émergents.
Web TV www.labourseetlavie.com : Philippe Waechter, bonjour. Vous êtes chef économiste chez Natexis Asset Management. On va parler avec vous d’économie et de perspectives économiques. Alors on va commencer par la France avec ces chiffres de croissance nulle au premier trimestre. On entend parfois, on voit écrire parfois « la France, le malade de l’Europe », est-ce que c’est quelque chose qui sur le plan économique est concret ?
Philippe Waechter, chef économiste de Natixis AM : Ce qui est très problématique, c’est que l’on a 0 en France, on a 0,8 en Allemagne, et ce que l’on observe, c’est une divergence assez forte. Et quand on regarde le détail des chiffres du premier trimestre, la France est fragilisée parce que sa demande interne, sa consommation, son investissement s’infléchissent alors que en Allemagne on a une évolution inverse. En d’autres termes, on a un rapport de force qui bouge et là où c’est problématique pour l’économie française, pour la France de manière générale, c’est que le couple franco-allemand devient de plus en plus déséquilibré, et dans la construction européenne, on sait que ce couple est extrêmement important. Donc là pour moi, l’élément-clé, au-delà de l’effet conjoncturel, il est sur cet aspect et on observe, ce n’est pas simplement sur le premier trimestre 2014, on perçoit cette divergence et c’est cela le plus problématique.
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela veut dire que l’on n’a pas encore trouvé les solutions effectivement pour un retour à plus de croissance parce que là, l’objectif annuel, il est quand même assez faible, du gouvernement, même s’il est peut-être trop ambitieux encore ?
Philippe Waechter, chef économiste de Natixis AM : Il est probablement ambitieux. 1 % de croissance, au regard du chiffre que l’on a eu sur le premier trimestre, cela suppose 0,5 de croissance à chacun des trois trimestres restants pour l’année 2014, c’est un objectif assez ambitieux. Le faire sur un trimestre, probablement, le faire sur trois trimestres de suite, c’est probablement beaucoup plus compliqué. Et de ce fait là, les objectifs de politique économique, de déficit public, vont être probablement révisés. Il va falloir regarder un petit peu différemment parce que le seuil, l’objectif de 1 % ne sera probablement pas atteint, et cela va poser un certain nombre de questions. Après, il y a la question de la politique économique, ce que l’on voit dans la dynamique de l’économie française, c’est que la demande privée est très faible. On a une inflexion, notamment au premier trimestre, mais même à la fin de l’année 2013, on n’avait pas quelque chose de très robuste. Cela veut dire que malgré tout on a un peu de croissance sur l’économie française, et comme le commerce extérieur ne contribue pas ou peu, cela veut dire que les dépenses publiques ont un rôle majeur dans la dynamique de l’activité. Et donc là, on a quelque chose de très particulier sur lequel il faut être attentif. Normalement, quand on regarde sur longues périodes, le profil de l’économie est conditionné par la demande privée, par la consommation, par l’investissement. Cela n’est pas le cas aujourd’hui et donc, en matière de politique économique, il y a deux choses à faire. La première, c’est d’inverser les hiérarchies, faire de telle sorte que la demande privée soit effectivement le principal contributeur de la croissance, ce qui n’est pas le cas, mais dans le même temps réduire les dépenses publiques trop rapidement, c’est prendre un risque effectivement sur la croissance, compte tenu du rôle tenu par ces dépenses dans la dynamique de croissance. Donc l’objectif, la façon dont la politique économique va être menée est assez compliqué.
Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce qu’il y a des exemples étrangers ou que l’on pourrait prendre effectivement en illustration qui montre que c’est possible parce que là, on a l’impression que l’on ne voit pas de solution à court terme ?
Philippe Waechter, chef économiste de Natixis AM : D’exemples étrangers, pas spontanément, mais on voit bien l’objectif qui était fixé via le CI CE, via les mesures, le pacte de responsabilité, tous ces éléments étaient de dire « Faisons un effort sur les entreprises pour que l’investissement redémarre » et qu’effectivement cela tire la demande privée vers le haut. Ce que l’on observe pour l’instant, c’est que c’est un peu… il y a une espèce de petit cafouillage, on avait eu un espoir à la fin de l’année 2013 avec un rebond de l’investissement des entreprises, cela n’est pas le cas au premier trimestre. Et donc cela veut dire qu’il faut agir vite, rapidement, et de manière efficace pour que effectivement les entreprises prennent en compte l’amélioration qui est proposée par le gouvernement, que celle-ci se mette en place très rapidement pour que l’on ait effectivement une inflexion à la hausse. C’est cela le challenge des prochains mois pour la politique économique.
Web TV www.labourseetlavie.com : On va reparler de question de confiance. Si on s’éloigne petit peu de la France, que l’on regarde les États-Unis, est-ce que de votre point de vue justement là on peut avoir des bonnes nouvelles. Il y a ceux qui disent « Finalement, attendez, cela va être… La reprise est là, elle va même être plus forte que prévu, vous allez être étonnés de ce que vous allez voir. » Est-ce que c’est vraiment ce que l’on peut penser ?
Philippe Waechter, chef économiste de Natixis AM : Les signaux que l’on a aujourd’hui aux États-Unis sont positifs. On a eu cette période du premier trimestre un peu compliquée avec les aléas climatiques, etc. qui ont pénalisé la croissance, mais les chiffres que l’on a sur le mois de mars, sur le mois d’avril, sont des chiffres plutôt robustes. Et donc on a une dynamique de croissance, un profil, une trajectoire de croissance qui est plutôt robuste aux États-Unis, qui n’est pas explosive. On n’est pas sur des sorties de récession comme on a pu en connaître en 83 ou… avec des accélérations très brutales, non, on est sur un rythme probablement voisin de 3 % avec un deuxième trimestre qui va être fort, qui va compenser le premier, mais on est aux alentours de 3 %. C’est ce qui incite la Fédéral Reserve, la banque centrale, à être beaucoup plus sceptique sur une politique très accommodante, c’est le discours qui est tenu depuis Bernanke au Congrès au mois de mai 2013 de dire « l’économie américaine va mieux. On va normaliser progressivement la politique monétaire. » C’est ce cadre-là. Est-ce que l’on va avoir une accélération très brutale ? Je n’en suis pas persuadé spontanément parce que on voit bien que le marché du travail est quand même très lent à se dérider, que le revenu des ménages a du mal à décoller de façon significative. Donc on n’a pas encore cette rupture à la hausse dans les déterminants du comportement des ménages.
Web TV www.labourseetlavie.com : Du côté des marchés émergents, c’est vrai qu’aujourd’hui on parle de différents marchés émergents, on ne peut pas les résumer en un seul en quelque sorte, en une seule zone. Quand on regarde la Chine, il y a eu… là on a vu croissance des crédits, deux fois, pratiquement deux fois le rythme de croissance du produit intérieur brut de la Chine, on se dit que finalement est-ce qu’il y a vraiment un changement de modèle qui est en cours ou pas ? Certains disent « Finalement cela n’a pas encore eu lieu, le deleveraging n’a pas encore eu lieu. »
Philippe Waechter, chef économiste de Natixis AM : Alors, il y a plusieurs choses sur l’économie chinoise, et c’est en cela qu’elle est compliquée. Le modèle de base de croissance lié à l’investissement et à l’exportation n’est plus le bon modèle. On le voit quand on regarde le profil de l’investissement productif, le profil des exportations, on n’est plus du tout dans ce que l’on observait avant la crise. Le basculement vers la consommation est lent à se mettre en place. En d’autres termes, on a une allocation de ressources qui doit s’opérer et qui est difficile à mettre en place et on voit bien Xi Jinping, le président chinois, le week-end dernier, a indiqué qu’il n’allait pas mettre en place des mesures de relance très vives parce que… justement pour ne pas modifier, pour ne pas altérer cette allocation, cette réallocation de ressources. Donc n’attendons pas une accélération brutale de la croissance. Mais ce que l’on constate aussi dans cette période, c’est qu’il y a toute une série de déséquilibres sur l’immobilier et sur les crédits, comme vous l’indiquez, qui pénalise l’économie chinoise parce que c’est quelque chose, on le voit bien dans les préoccupations de la banque centrale de Chine, comment… essayer de comprendre comment maîtriser ces évolutions de crédit. Et c’est cela aujourd’hui la grande difficulté, le grand déséquilibre de l’économie chinoise, c’est d’avoir créé une sorte de bulle de crédit après la relance de 2009 et d’être aujourd’hui, d’une certaine manière, dans l’incapacité de la maîtriser. Cela va être l’enjeu des prochains mois sur l’économie chinoise, réussir à faire la transition sur le modèle de croissance et à maîtriser cette dynamique monétaire.
Web TV www.labourseetlavie.com : Un mot pour terminer sur le Japon, cela a été regardé avec intérêt, avec les nouvelles… les fameuses Abenomics, cela a été, on peut dire, mondialement regardé ce qu’a fait le Japon, est-ce qu’aujourd’hui cela fonctionne et est-ce que cela va fonctionner dans les prochains mois pour l’économie japonaise ?
Philippe Waechter, chef économiste de Natixis AM : Moi je ne crois pas. On a eu un chiffre de croissance qui a été fort sur le premier trimestre, chacun s’attendant à une augmentation de la TVA, et elle s’est mise à consommer, là-dessus il n’y a pas beaucoup de surprise. Mais ce que l’on constate, la vraie problématique sur le Japon est du côté du consommateur. Le consommateur a vu l’inflation s’accélérer, son salaire ne s’est pas amélioré, et on a vu dans le même temps, on a vu au mois d’avril qu’avec la hausse de la TVA, l’inflation s’était brutalement accélérée, ce qui est normal, mais ce qui veut dire aussi que le pouvoir d’achat du salarié japonais va s’infléchir. Donc il a consommé beaucoup au premier trimestre, il va probablement beaucoup moins consommer au deuxième, et la question posée à côté, c’est de se dire « Est-ce que finalement, après une politique monétaire très accommodante, une politique budgétaire qui l’a été, qui l’est moins aujourd’hui, est-ce que finalement la troisième flèche des Abenomics va être mise en place ? Pour l’instant on n’a pas grand-chose et cette troisième flèche, c’est tout simple, c’est de dire « On est dans une population qui vieillit, une économie qui vit, il faut trouver le moyen de remplacer la population active pour qu’elle se rajeunisse, qu’elle soit plus productive », pour l’instant on ne voit pas d’éléments sur ces questions. Et donc le risque, c’est que l’inflexion que l’on va avoir au deuxième trimestre sur la croissance japonaise soit une inflexion forte et durable et que finalement l’économie japonaise ait du mal à repartir de l’avant au cours des prochains mois.
Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Philippe Waechter d’avoir été avec nous.
Philippe Waechter, chef économiste de Natixis AM : Merci.
© www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés, le 17 mai 2014.
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