Eric Bourguignon Directeur de la Gestion Taux et Crédit Swiss Life Asset Managers : "Une situation aberrante sur les taux".
Tv Bourse : Stratégie d'investissement et évolution de l'allocation d'actifs
Retour sur l’actualité des marchés financiers, l’impact des politiques monétaires sur les zones économiques et pour les investisseurs.
Allocation d’actifs et stratégie dans un environnement ou “l’argent brûle les doigts”.
Mon invité Eric Bourguignon Directeur de la Gestion Taux et Crédit Swiss Life Asset Managers évoque cette période “atypique”.
Web TV www.labourseetlavie.com : Éric Bourguignon, bonjour. Vous êtes directeur de la gestion taux et crédits chez Swiss Life Asset Managers. On va parler avec vous donc de ces marchés obligataires avec, on pourrait le dire, toutes les semaines, de peut-être nouvelles versions, de nouveaux scénarios qui se dessinent. Si on commence par la Banque centrale européenne, on a pu lire qu’elle avait déjà œuvré dans son programme de rachats d’actifs, cela a eu d’ores et déjà donc un impact sur ces marchés ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Alors, il y avait déjà eu un impact avant qu’elle n’agisse, ça c’est tout à fait évident puisque les taux avaient déjà beaucoup baissé tout au long de l’année dernière et en début d’année, les spreads de crédit s’étaient déjà beaucoup réduits, donc elle avait déjà agi, à la limite sans acheter un centime de papier, ce qui est assez remarquable. Depuis qu’elle a agi, le 9 mars, on a assisté à une poursuite de mouvements de détente des taux en zone euro, détente généralisée, mais, phénomène assez intéressant, on observe quand même un début d’écartement des spreads sur les pays périphériques de la zone euro, ce qui fait que les principaux bénéficiaires à ce stade du quantitative easing, depuis qu’il a été enclenché, c’est l’Allemagne et accessoirement la France.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, ce n’est peut-être pas les deux pays qui en avaient le plus besoin ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Tout à fait.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc cela veut dire qu’il y a une vraie distorsion, en tout cas, de ces actifs ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Oui, aujourd’hui il n’y a plus de marchés de taux d’intérêt en zone euro, soyons clairs. Aujourd’hui, les marchés sont complètement sous la main de la Banque centrale européenne qui effectue effectivement une distorsion considérable des taux d’intérêt des spreads de crédit et qui provoque des flux d’épargne tout à fait impressionnants entre les différentes classes d’actifs.
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela veut dire pour l’investisseur, clairement, on sait que l’on ne joue pas contre les banques centrales, ça c’est du classique, mais qu’est-ce que cela veut dire concrètement ? Parce que on accompagne le mouvement, qu’est-ce que l’on fait sur ces marchés-là puisque ce n’est pas terminé ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Oui, les investisseurs, dans un monde où l’argent brûle les doigts puisque l’on amène des taux négatifs sur certains placements jusqu’à des durées assez lointaine d’ailleurs, les investisseurs ils n’ont d’autres possibilités que de rallonger un petit peu leurs portefeuilles, que de prendre un peu plus de risques pour essayer de grappiller quelques points de base supplémentaires de performance, de façon assez mécanique.
Web TV www.labourseetlavie.com : On a une idée de jusqu’à quand cela va continuer ? C’est la grande question sur ces marchés.
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Quand on constate qu’aujourd’hui la BCE n’a dépensé que 60 à 70 milliards d’euros par rapport à un programme qui comporte 1140 milliards d’euros de dépenses, on peut imaginer que le processus est loin d’être parvenu à son terme. Donc on aura probablement une courbe des taux qui s’aplatit encore davantage, des taux qui s’enfoncent encore plus en territoire négatif de façon là aussi tout à fait mécanique, en raison de ces achats de la Banque centrale européenne.
Web TV www.labourseetlavie.com : On pouvait entendre que… historiquement on n’avait jamais connu une telle période d’aller jusqu’à ces niveaux-là, quels sont les risques qu’il faut tout de même envisager quand on en arrive à une telle situation de taux d’intérêt négatifs ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Moi, cela me semble une situation relativement aberrante. Un taux négatif, cela n’a pas de sens d’un point de vue théorique, cela n’a jamais existé dans l’histoire économique, à ma connaissance, jusqu’à une époque très récente. Donc il faut quand même s’interroger sur ce phénomène tout à fait sans précédent. Les problèmes, parmi tant d’autres, que cela peut poser, c’est que le taux d’intérêt, c’est un thermomètre, c’est lui qui oriente l’épargne, qui mesure le risque des emprunteurs. À partir du moment où ce thermomètre est cassé, on voit bien qu’il y un désarroi profond des investisseurs et même des emprunteurs sur le marché des taux d’intérêts qui n’ont plus du tout cette notion de marché, justement, qui vise à allouer l’épargne de façon la plus efficiente possible.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc cela aura des conséquences sur les épargnants, toute l’économie finalement financière ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Cela aura forcément des conséquences. On ne les connaît pas vraiment aujourd’hui puisque on est tout à fait dans une période expérimentale. Encore une fois, on n’a jamais vécu cela, donc là, la Banque centrale européenne prend, à mon avis, de grands risques, peut-être pour des buts tout à fait louables, mais les conséquences de cette politique seront probablement assez importantes et pas forcément bénéfiques pour l’économie et les marchés financiers dans les années qui viennent.
Web TV www.labourseetlavie.com : Quand on entend cette notion de stagnation séculaire pour dire que nos pays développés connaîtront une croissance faible pendant de longues années, ce qu’a connu le Japon, mais il y a quelques années, on ne voulait pas en entendre parler en Europe, on disait « l’Europe n’est pas le Japon », ce côté stagnation séculaire, est-ce que cela parle quand on voit ce qu’il y a sur les taux justement, ce que nous disent les taux d’intérêt aujourd’hui ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Oui, c’est un terme qui est un peu à la mode, qui n’a pas de sens à mes yeux. On sait très bien qu’il y a des cycles d’innovation par exemple qui peuvent regénérer des taux de croissance très importants. Il y a une quinzaine d’années, on pensait avoir une croissance éternelle, un nouveau paradigme de l’économie mondiale, donc tout cela n’est pas très sérieux, personne n’en sait rien à la vérité. Donc je ne crois pas du tout à cette théorie.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, de l’autre côté de l’Atlantique, si on s’y arrête un instant, là on a un débat permanent, on pourrait dire, on le voit même au sein de la Fed, sur remonter ou non les taux en 2015, est-ce que l’on y voit un peu plus clair ou pas ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Je crois qu’il faut distinguer les problèmes conjoncturels de court terme et là, de ce point de vue-là, les derniers chiffres qui ont été publiés aux États-Unis ne sont pas très bons. Le chômage cesse de s’améliorer, le taux de chômage de se réduire, les créations d’emplois ralentissent, les commandes à l’industrie faiblissent, bref il y a tout un tas d’indicateurs qui vont dans le même sens et c’est celui du ralentissement. Maintenant, l’analyse de ces chiffres n’est pas très claire. On pense que c’est relativement lié aux effets climatiques, donc tout à fait provisoire. La vérité, c’est que la politique monétaire américaine reste extrêmement agressive, tout à fait atypique, et le moment est venu de normaliser cette politique. Et je pense que c’est le raisonnement de la Fed, je pense qu’elle remontera ses taux d’intérêt courant de l’été, peut-être même en juin, tout simplement parce que ses taux aujourd’hui sont beaucoup trop bas, ils apportent un stimulant dont l’économie américaine n’a plus besoin parce qu’elle repart de façon relativement endogène.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc ce débat entre les membres de la Fed est tout à fait pertinent sur cette sortie, quelque part, de cette politique monétaire ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Je pense qu’ils sont tous convaincus que les taux actuels ne sont pas normaux là-bas également, et le problème, c’est est-ce que l’on fera cela en juin ou en septembre ? Cela me paraît tout à fait de second ordre, la vérité, c’est qu’ils vont devoir sortir de cette politique de stimulation de l’activité économique tout à fait excessive et dont n’a plus besoin l’Amérique.
Web TV www.labourseetlavie.com : On dirait, au plan mondial, toutes les banques centrales sont en train, je dirais, de mettre leur stratégie en place. On peut penser à la banque chinoise qui, elle aussi, est en train de faire ce quantitative easing à sa manière, on a vu la banque du Japon, est-ce qu’il y a une coordination, selon vous, ou est-ce que finalement il n’y a pas tant de coordination que cela ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Non, il n’y a pas de coordination, je ne pense pas. Il y a un problème commun, c’est que le monde souffre d’un excès de dettes. Donc, quand les gens ont trop de dettes, ils n’empruntent plus, donc les banques centrales cherchent justement à pallier cette insuffisance du crédit en allant elles-mêmes financer tout un tas de projets ou tout un tas d’États, et ça c’est la politique commune. Maintenant les banques centrales poursuivent parfois des objectifs différents, elles sont plutôt en concurrence, et quand l’une agit fortement, sa voisine a tendance à l’accompagner pour ne pas perdre de terrain par rapport à la politique qu’elle mène.
Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin sur l’allocation d’actifs telle qu’elle se dessine sur les prochains mois, pour vous, quelles seraient les principales pistes ?
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Il est clair qu’aujourd’hui les marchés de taux d’intérêt perdent beaucoup de leur attrait, à l’exception peut-être du marché du high yield qui a encore des rémunérations assez sympathiques et puis peut-être la dette Corporate émergente qui, aussi, a des spreads que je pense acceptables. Il est clair que pour les marchés Actions, à moyen terme, ce quantitative easing est une machine infernale à faire monter les cours, mais est-ce que c’est pour des bonnes raisons ?
Web TV www.labourseetlavie.com : C’est effectivement le… On verra cela dans les prochains mois sur ce sujet. Merci Éric Bourguignon.
Éric Bourguignon, Directeur Gestion Taux et Crédits chez Swiss Life Asset Managers : Merci.
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