Frédéric Lasserre Directeur C&M Finances : "le rééquilibrage est en cours".
Evolution des marchés de matières premières : un nouveau schéma en 2016

28 avril 2016 8 h 09 min
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Pétrole : Après l’échec de la réunion de Doha, l’OPEP aurait-elle perdu la main sur ce marché ?

Quelles sont les grands équilibres actuels ? Quel impact de la croissance économique mondiale sur ce marché ?

Avec une réaction positive des marchés malgré cet échec, cela signifie-t-il qu’on aborde une nouvelle étape sur les marchés des matières premières ?

Mon invité pour faire le point sur ce marché “market mover” est Frédéric Lasserre Directeur C&M Finances

Web TV www.labourseetlavie.com : Frédéric Lasserre, bonjour.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Bonjour.

Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes directeur chez C&M Finances. On va parler avec vous des marchés de matières premières, notamment pétrolières. C’est vrai qu’il y a eu beaucoup d’actualités au cours des dernières semaines, avec notamment la rencontre Doha où, on pourrait dire, il ne s’est pas passé grand-chose, peut-être contrairement à certaines attentes. Où en est justement l’OPEP sur cette « régulation » du marché pétrolier ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Écoutez, je crois qu’aujourd’hui, on peut dire que l’OPEP a définitivement perdu la main sur la régulation du marché pétrolier, et ce, à l’initiative de l’Arabie Saoudite qui clairement aujourd’hui fait cavalier seul, a son propre agenda en termes stratégiques. On l’a vu, le jeune prince héritier a annoncé récemment un projet très ambitieux à l’horizon 2030 de diversification. Il souhait que l’Arabie Saoudite ne soit plus dépendante exclusivement des recettes pétrolières. Et ce à quoi on a assisté à Doha, c’est la manifestation, c’est peut-être le premier signe patent de cette volonté, avec les Saoudiens qui mettaient comme conditions à leur adhésion, un plan de gel de la production et non pas de réduction de la production, de la participation effective de l’Iran, ce qui est inacceptable pour l’Iran qui sort de quatre années d’embargo et qui ne peut pas accepter d’elle-même de prolonger implicitement cet embargo par un gel de sa production.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc, c’est plus effectivement une confirmation finalement de ce que certains anticipaient, à savoir qu’il y a aujourd’hui des intérêts contradictoires pour les producteurs pétroliers et qu’on ne peut pas les résoudre et que ça ne passera pas par une hausse de prix.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Alors, ça passera peut-être par une hausse de prix, parce que le paradoxe à l’issue de cette réunion et d’ailleurs le marché a plutôt bien réagi au non-accord, c’est-à-dire à la non-décision de geler la production. Alors pourquoi ? Parce qu’effectivement aujourd’hui, le rééquilibrage du marché passe par une réduction de production que la baisse des prix ou les prix au niveau actuel se chargent en réalité de mettre en place au-delà d’accords de partenariat autour d’un gel voire d’une réduction un jour de production. Donc paradoxalement, cette décision des Saoudiens de mettre une condition inacceptable et donc d’empêcher l’aboutissement de l’accord joue plutôt en faveur d’une réduction et d’un rééquilibrage du marché. Aujourd’hui, tout le monde voit se rééquilibrage pour la fin de l’année. Donc maintenant, c’est une question de six à neuf mois maximum. Et donc ensuite, ça ouvrira peut-être la porte à une reprise des cours dans le sens où ça fait la troisième année maintenant que nous assistons à une réduction très significative des Capex. Alors trois années de suite de réduction des Capex à deux chiffres en pourcentages, c’est du jamais vu dans l’histoire de l’industrie pétrolière moderne. Et donc le jour où si la demande frémit un peu, on va se retrouver dans l’incapacité d’avoir les capacités de production qui n’auront pas été investies dans les trois années desquelles nous sortons pour faire face à cette demande.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, il y a eu aussi bien sûr, au cours des dernières années, tout ce qui s’est passé aux États-Unis avec le gaz de schiste. Est-ce qu’aussi, on est en train de se positionner en disant que cet effet gaz de schiste ne sera pas bien sûr illimité et que du coup on se positionne aussi sur le fait que cette demande ou cette offre surabondante ne pourra pas tenir longtemps ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Alors, la particularité des gaz et pétroles de schiste en l’occurrence, c’est effectivement que c’est une technologie de production qui est très sensible aux prix, à la baisse comme à la hausse. Autrement dit, dès qu’ils arrêtent d’investir, la production baisse assez rapidement, dans les mois qui suivent. Et c’est bien ce à quoi nous assistons aujourd’hui. À l’inverse, si les prix remontaient trop vite, ils seraient capables de relancer cette production également dans un délai de quelques mois et non pas d’années. Mais en réalité, ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’on voit que les Capex baissent non seulement chez les ENP américaine produisant du pétrole de schiste, mais également dans les majors et super majors au niveau du pétrole dit conventionnel, donc l’off-shore profond, les sables canadiens, du on-shore classique. Or, c’est cette capacité-là de production, ce sont ces investissements-là qui pourraient venir à manquer dans les trois à quatre années qui viennent, dès lors que la demande continuera à progresser, même à un rythme normal.

Web TV www.labourseetlavie.com : De votre point de vue, aujourd’hui finalement, on arrive à une stabilisation alors qu’il y a encore quelques mois, certaines banques d’affaires envisageaient le pétrole à 20 dollars. Ça semble peu probable aujourd’hui. On est plutôt sur une stabilisation ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Alors aujourd’hui, sauf accident de demande, baisse de la croissance, une absence d’hiver l’hiver prochain, c’est toujours possible, mais si on prolonge les tendances actuelles, le marché semble effectivement pricer l’idée que nous avons vu les plus bas. Qu’à 26 dollars, nous avons certainement peut-être testé les plus bas et qu’aujourd’hui, encore une fois, d’un point de vue physique, le rééquilibrage est en cours. L’excédent était de plus de 2 millions de barils / jours en début d’année, on n’est plus qu’à 1 million et demi, on va tomber à 1 million cet été et on sera sans doute encore une fois à l’équilibre dernier trimestre – premier trimestre 2017. Donc la trajectoire de prix devrait accompagner ce rééquilibrage. Mais encore une fois, l’idée des Saoudiens, c’était d’éviter une remontée trop rapide et trop brutale des cours pour ne pas redonner de l’oxygène à leurs concurrents directs aujourd’hui, les pétroles de schiste américain, demain le pétrole conventionnel des grandes majors.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, en face de cette situation sur le marché pétrolier, il y a bien sûr la croissance économique mondiale. Et là, c’est vrai qu’il y a pas mal de doutes, toujours en ce moment, même si certains disent qu’en Chine ça va mieux. Il y a potentiellement des risques aux États-Unis alors qu’on a commencé une hausse de taux mais qu’il y a des questions sur la croissance économique américaine. En Europe, ça va un peu mieux, mais c’est très très lent. Donc, on n’a pas une conjoncture économique non plus, en tout cas aujourd’hui, très favorable.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Non, c’est vrai. Mais cela dit, la croissance ne baisse pas non plus. C’est-à-dire qu’en fait, au niveau de la croissance mondiale, même sans regarder les zones individuellement, on reste sur un rythme de 3 %, bon an, mal an, ce qui est le rythme moyen des quatre – cinq dernières années. Or, à ce rythme-là, la croissance de la demande de pétrole nécessitait à peu près la moitié, donc on a 1,4 – 1,5 % de croissance. Donc, on a un gros million de barils / jour, 1,2 – 1,3 million de barils / jour, de plus de demande incrémentale chaque année. Or, aujourd’hui, encore une fois, la production est en train de baisser. Elle baisse aux États-Unis, mais elle commence à baisser également dans d’autres zones du monde. La mer du Nord commence à baisser, lentement mais surement. Le Brésil, l’off-shore brésilien, commence également à baisser. Donc encore une fois, tous les ans, il va falloir trouver ce million et demi. Donc aujourd’hui, c’est l’excédent de production qui fait face. Demain, donc dans un an, deux ans, trois ans, ce sera des capacités nouvelles qu’il faudra amener sur le marché pour y faire face. Si on ne les a pas parce que les investissements n’ont pas été consentis maintenant, trois ans avant, seul le prix pourra, encore une fois, de nouveau stimuler l’offre.

Web TV www.labourseetlavie.com : Et quand on parle parfois d’inflation, il y a un vrai sujet inflation à venir potentiel.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Il y a un vrai sujet. Nous avons bénéficié de l’effet déflationniste de l’effondrement des cours, au point qu’au début, on s’est réjoui de la baisse des cours du pétrole par l’idée d’une redistribution de pouvoir d’achat aux pays consommateurs. On a peu vu les effets en dehors des États-Unis d’ailleurs. Aujourd’hui effectivement, si on part de l’idée qu’on a vu les points bas, maintenant, c’est plutôt un effet inflationniste, ce que sans doute les banques centrales salueront puisque c’est vers ça qu’elles tendent et qu’elles essayent de viser en termes politique monétaire.

Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin. Vous avez peut-être vu comme moi cette information de l’ancien patron de BP qui dit que finalement, les réserves de pétrole dont on nous parle depuis des années, soi-disant prouvées, il y en a la moitié qui n’existe pas. Ça, ça ne risque pas à un moment donné de faire peur ?

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Je ne sais pas. Je suis toujours un peu prudent face à ces déclarations parce qu’on a eu des déclarations à peu près opposées, mais de même nature, il y a quelques années, en disant qu’il y en avait plus que ce qu’on pensait. Et puis ensuite, le peak oil, c’était il n’y en a plus autant qu’on pensait. Et puis le pétrole de schiste a montré qu’on découvrait de nouveaux types de réserves et qu’on savait les exploiter. Et au début, on disait : oui, mais on peut les exploiter qu’à 100 dollars, donc elles n’existent qu’à 100 dollars, elles disparaitraient à 50 dollars ». La réalité a montré qu’aujourd’hui on peut produire du pétrole de schiste à 50 dollars. Donc, je prends plutôt ces déclarations avec une extrême prudence. Je pense quand même qu’en termes de réserves, il y en aura plutôt plus que ce qu’on pensait que moins.

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci d’avoir fait le point avec nous, Frédéric Lasserre.

Frédéric Lasserre – Directeur C&M Finances : Merci.