Guillaume Truttmann Gérant Quilvest Gestion : "La Fed pourrait remonter ses taux plus vite que prévu".
Marchés obligataires : Stratégie et perspectives sur les taux
Les marchés obligataires ont continuer de surprendre les opérateurs aux cours des derniers mois, avecrécemment des records à la baisse du niveau de taux (le 30 ans aux Etats-Unis), ou du côté des Bunds en Allemagne.
Comment envisager une stratégie sur ces marchés ? Guillaume Truttmann vient de rejoindre l’équipe de Quilvest Gestion, il est spécialiste des marchés spécialistes obligataires.
Web TV www.labourseetlavie.com : Guillaume Truttmann, bonjour. Vous êtes gérant chez Quilvest Gestion. On va parler avec vous des marchés obligataires, des perspectives sur ces marchés. Alors bien entendu sur ce segment-là, tous les investisseurs regardent ce que fait la Réserve fédérale américaine, la Fed. On a eu un certain nombre de déclarations au cours de l’été et il y a encore quelques jours, est-ce que de votre point de vue la Fed a évolué dans son discours auprès des investisseurs ?
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : Oui tout à fait. Alors déjà ce qu’il faut noter, c’est que aujourd’hui on a une croissance américaine qui est bonne, entre 2 et 3 %, et par conséquent c’est un marché de l’emploi qui s’est nettement amélioré. Aujourd’hui on a un taux de chômage qui se situe autour de 6 % à 6,2 %. Depuis 2009, il était aux alentours de 10 %, il a commencé l’année 2014 à 6,7 % et donc on constate une amélioration continue du taux de chômage, et donc du marché de l’emploi. Alors il faut le nuancer et c’est le cas dans les précédents discours de Janet Yellen, notamment avec le taux de participation de la population active au marché de l’emploi qui est en baisse, et ce qui dénote un certain affaiblissement de la qualité du marché de l’emploi. Néanmoins ce taux de chômage se rapproche fortement du taux de plein-emploi pour les États-Unis.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc ça c’est un point important pour la Fed, pour la Réserve fédérale américaine, ce niveau d’emploi.
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : C’est un point important. Il y a un autre point, c’est l’inflation et l’inflation se situe entre 1 et 2 %, n’est pas au niveau de 2 % qui est en quelque sorte une cible pour la Fed. Néanmoins, ce que l’on note dans les derniers discours de la Réserve fédérale, notamment lors de la réunion de Jackson Hole, c’est qu’il existe des pressions inflationnistes, des phénomènes sous-jacents qui pourraient impliquer de nouvelles pressions inflationnistes, et notamment avec le retard sur la hausse des salaires, et en conséquence, ces pressions inflationnistes pourraient inciter la Fed à agir sur ses taux assez rapidement et peut-être plus rapidement que l’anticipe le marché aujourd’hui.
Web TV www.labourseetlavie.com : C’est vrai que l’on a vu un débat au sein même de la Fed, on l’a vu effectivement de manière publique où certains des membres disaient qu’il fallait aller plus vite justement sur ce plan-là, cela a perturbé les marchés ?
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : Cela effectivement a eu des conséquences sur les marchés. Ce qu’il faut retenir, on va revenir un peu en arrière, c’est déjà que la Fed met un terme à son assouplissement quantitatif. Les rachats d’actifs mensuels diminuent, on est passé de 85 milliards de dollars initialement et en octobre la Fed aura mis un terme à ses achats d’actifs. La prochaine étape, donc est la remontée des taux de la Fed d’agir sur sa politique conventionnelle. C’est ce qui aujourd’hui fait réagir les marchés et laisse planer beaucoup d’incertitudes, notamment vis-à-vis du timing de cette action de la Fed sur ses taux directeurs.
Web TV www.labourseetlavie.com : On a vu pour autant les taux, cet été en tout cas, et là même encore récemment le 30 ans au plus bas historique depuis 15 mois, on était à 3,11 %, on voit le 10 ans aussi, on voit en Allemagne aussi les taux, on va parler de l’Europe, mais ce qui se passe sur cette baisse de taux, finalement est-ce que c’est lié à la conjoncture économique peut être moins favorable que prévu ?
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : C’est surtout lié aux anticipations du marché sur ce timing de remontée des taux. Comme je le disais tout à l’heure, il y a une forte incertitude sur ce timing-là, donc selon l’évolution des chiffres économiques, effectivement on a une réaction des taux longs à la hausse ou à la baisse. Ce qui me semble aujourd’hui important, et notamment vis-à-vis des arguments que l’on a développés tout à l’heure, c’est que la Fed pourrait remonter ses taux bien avant que ce que le marché anticipe aujourd’hui. Nous pensons qu’elle pourrait remonter ses taux au premier semestre 2015, peut-être même dès la fin du premier trimestre, et cela aura évidemment une conséquence sur les taux courts, mais également sur les taux longs, même un risque d’aplatissement de la courbe aux États-Unis. La conséquence aujourd’hui de cette possible remontée des taux, c’est un affaiblissement de l’euro contre le dollar. Le dollar s’apprécie, on voit qu’il y a une vraie tendance à l’appréciation, on est aujourd’hui autour de 1,32, et d’ailleurs si on veut arriver ensuite… vous parliez de la zone euro, l’appréciation du dollar risque d’être favorable à la zone euro s’agissant de son inflation puisque l’on aura une hausse de l’inflation importée qui pourra freiner les risques de déflation en zone euro.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ça c’est un vrai sujet. Alors sur la zone euro on est dans une autre situation. On est là, on a vu le ralentissement, on a vu ce qui se passe sur pas de croissance en France, on a vu l’Italie retomber en récession, on a vu que l’Allemagne elle-même avait un coup de frein et on a Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, qui est lui plutôt en train d’imaginer peut-être éventuellement du quantitative easing, on n’en est pas encore là, mais on n’est pas dans le même cycle, on peut dire, on est dans un cycle retardé ?
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : Effectivement, on est à deux cycles différents. Ce qui est important toujours d’avoir en tête, c’est la relation entre les États-Unis et la zone euro. Alors, pour reprendre sur l’inflation en zone euro, effectivement on a une inflation qui est très faible, 0,4 %, avec la France à 0,6, l’Allemagne à 0,8, ces deux pays représentant à peu près 48 % de l’indice Inflation, peut-être un risque de déflation qui pourrait être atténué justement par cette appréciation du dollar, mais on a toujours cette faible inflation, et une inflation qui devrait rester sur ce niveau assez longtemps. On a également une croissance qui est faible, une contagion des pays périphériques aux pays cœur, justement comme vous le disiez, avec les chiffres décevants de la croissance en Allemagne, une croissance atone en France, une croissance négative en Italie. Du coup la BCE a mis en place un certain nombre de mesures. On les connaît, il y a eu sur sa politique conventionnelle une baisse des taux, un taux de dépôt négatif aujourd’hui, un taux de refinancement au plus bas. On a également des mesures non conventionnelles que sont les TLTRO qui prennent le relais des opérations de refinancement de long terme qui avaient été mises en place il y a trois ans et on évoque progressivement un possible programme d’achat d’actifs mais qui se concentrerait, en tout cas ce que l’on entend aujourd’hui, sur les ABS. Mais le programme d’achat d’actifs notamment d’ABS, il n’est pas pour tout de suite, peut-être la fin d’année, mais la BCE explique clairement qu’elle est en train d’y réfléchir, de le mettre en place, d’évaluer ce programme-là.
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela peut prendre du temps.
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : Cela peut prendre du temps et de là à aller au-delà d’un simple programme d’achat d’ABS, sachant que les ABS concerneraient uniquement les crédits aux entreprises non financières, pas les crédits immobiliers, donc c’est quand même un segment relativement faible pour la zone euro. Au-delà, est-ce que la BCE a les moyens, est-ce qu’elle a la possibilité de mettre en place un programme d’achat d’actifs plus vaste à l’image de ce qu’a fait la Réserve fédérale américaine.
Web TV www.labourseetlavie.com : Le mot de la fin peut-être pour les investisseurs qui voient ces évolutions de taux sur leur stratégie obligataire, je disais, je rappelais les taux longs au plus bas, si on voyait le 30 ans effectivement, qu’est-ce qu’ils font d’ici la fin de l’année ?
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : Alors, il va falloir peut-être commencer à envisager sérieusement une couverture contre le risque de hausse des taux. Pourquoi ? Parce que, même si on a des divergences claires de politique monétaire, on aura avec la remontée des taux aux États-Unis un différentiel de taux et de croissance majeur. On a constaté sur les dernières années que le différentiel de taux longs entre les États-Unis et l’Europe pouvait atteindre des niveaux assez élevés, autour de 150 pb entre la France et les États-Unis, mais sur des périodes assez éphémères. Aujourd’hui on est à 110 pb entre la France et les États-Unis. La période la plus longue où on a eu une telle différence de taux, cela a été un an entre 2005 et 2006, au-delà de 100 pb. Et par conséquence, une remontée des taux aux États-Unis pourra avoir un impact également à la hausse des taux en Europe, ce que le marché aujourd’hui semble ne pas vraiment prendre en compte, et plutôt considérer un problème d’achats quantitatifs à l’américaine qui pourrait, selon certains, être annoncé assez rapidement, ce qui n’est pas notre scénario. Et du coup, outre cette couverture contre le risque de hausse des taux en zone euro, les autres solutions d’allocation vont être d’être toujours très sélectif sur le marché du crédit, peut-être s’intéresser à certains émetteurs à haut rendement qui pourraient finalement continuer d’améliorer leur situation financière malgré ce contexte économique défavorable en zone euro, être sélectif sur le marché du crédit et également s’intéresser aux obligations convertibles qui, avec leurs profils convexes, permettent de profiter d’une éventuelle hausse des marchés actions tout en étant protégé contre sa baisse, avec la composante obligataire de ces instruments.
Web TV www.labourseetlavie.com : Merci d’avoir fait le point avec nous, Guillaume Truttmann.
Guillaume Truttmann, gérant chez Quilvest Gestion : C’est moi qui vous remercie.
© www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés, le 30 août 2014.
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