Sandrine Cauvin Gérant Turgot AM : "Tous les acteurs ne sont pas touchés de la même manière".
Marchés pétroliers, quelles sont les conséquences de la baisse sur le secteur ?
Actualités sur les marchés pétroliers.
Des records à la baisse, qu’est ce que cela signifie pour les “majors” ou pour les plus petits acteurs du secteur ?
Un marché en pleine tourmente avec les inquiétudes économiques mais les investissements aux Etats-Unis ont changé la donne.
Web TV www.labourseetlavie.com : Sandrine Cauvin, bonjour. Vous êtes gérante chez Turgot Asset Management. On va parler avec vous de marchés pétroliers et de perspectives sur ces marchés et conséquences pour peut-être les investisseurs. C’est vrai que depuis maintenant plusieurs mois on constate cette baisse, notamment sur le marché du brent, on voit ces prix très, très bas, on pouvait se dire à un moment donné que, s’il y avait une reprise économique, on n’était pas du tout dans ce scénario-là, aujourd’hui cela impacte véritablement les acteurs, tous les acteurs, tous les pays pétroliers ?
Sandrine Cauvin, gérante chez Turgot AM : Bien entendu, cela impacte tout le monde puisque quand vous avez un prix qui baisse de 25 % en quatre mois, c’est quand même assez violent. Cela faisait un petit moment que l’on n’avait pas eu une baisse de cette ampleur, donc forcément cela touche tout le monde, par contre pas au même niveau. Il faut savoir que des pays comme l’Arabie Saoudite ou même la plupart des producteurs de l’OPEP ont des seuils de rentabilité beaucoup faibles que les nouvelles productions que vous avez, donc notamment, dans tout ce qui est le non conventionnel, que ce soit les pétroles de schiste aux États-Unis ou même les pétroles qui sont développés en offshore, très profond, que ce soit en mer du Nord ou dans d’autres contrées comme le Brésil. Donc là il y a déjà une distinction sur ce plan-là. Et puis il y a une distinction aussi après au niveau des compagnies pétrolières puisque les grosses compagnies pétrolières ne seront pas touchées de la même manière que les petites qui, elles, ont des contraintes de financement principalement. Et quand vous avez un prix du pétrole qui passe de 100 à 85, voire même qui pourrait être en dessous de 85, c’est plus compliqué de faire appel au marché puisque les investisseurs vont être moins enclins à aller donner plus d’argent sur ce segment-là. Et puis vous avez aussi le problème de l’accès à la dette où cela va être plus compliqué de convaincre les banques d’investir, de redonner de l’argent pour investir dans les projets. Donc voilà, il y a bien une différence, même si tout le monde est touché, ce n’est pas de la même ampleur.
Web TV www.labourseetlavie.com : On a vu effectivement, cela veut dire aussi que le marché pétrolier lui-même a changé puisque on aurait pu dire qu’avec tous les conflits que l’on avait effectivement, que ce soit en Syrie, en Irak, en Libye, on ne sait pas ce qui se passe en ce moment exactement, on aurait pu se dire que le pétrole aurait dû flamber, et puis il y avait eu Israël et les palestiniens, donc il y avait un ensemble géopolitique qui était inquiétant, il y a l’Ukraine aussi, et pourtant, finalement, on a eu cette baisse que l’on a évoquée à l’instant ?
Sandrine Cauvin, gérante chez Turgot AM : C’est vrai qu’il y a eu un agenda géopolitique très, très chargé, qui normalement aurait dû faire monter les prix de manière très élevée. Il y a encore trois ou quatre ans on aurait vu… Les prix ont quand même fortement progressé, en juin quand on était à 115, voire même un petit peu au-dessus de 115, il y avait quand même une prime géopolitique. Mais ce qui s’est passé, c’est que on est dans un contexte où il y a quand même un ralentissement de la demande parce qu’au niveau de la macroéconomie on n’a pas du tout les mêmes perspectives que l’on avait anticipées. Il y a une croissance moins importante, notamment du côté de l’Europe, mais aussi du côté des émergents, la Chine en tête. Donc déjà vous avez une croissance de la demande moins importante. Il y a eu un effet devise aussi à souligner qu’il n’a pas été négligeable puisque le dollar est remonté du fait des anticipations donc de changement de politique monétaire aux États-Unis. Et puis enfin, vous avez une offre aussi qui est en croissance. Vous avez un marché aujourd’hui qui est à peu près de 1 million de barils par jour de surplus, ce qui n’est pas énorme en soi puisque c’est seulement 1 % de la production, mais quand même il y a un marché en surplus, et surtout il y a ce sentiment qu’aujourd’hui il y a la possibilité de faire augmenter cette production, notamment avec la production américaine qui croît assez rapidement.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc quelque part on a ce marché qui est alimenté dans un contexte économique moins favorable, donc on se retrouve avec ces baisses. En même temps, l’investissement, les investissements des Majors, comment ces investissements justement ont évolué en termes de cycle ? On a l’impression que l’année prochaine cela va se calmer, mais là on était sur une période d’exploration de production importante ?
Sandrine Cauvin, gérante chez Turgot AM : Bien sûr, sur les cinq dernières années, les grosses compagnies, mais les petites aussi, mais même les grosses avaient investi de manière assez importante, et maintenant ils avaient déjà annoncé, je ne sais pas si vous vous souvenez, mais Total ou Shell avaient annoncé des réductions de budget bien avant la baisse des prix. Et bien entendu, maintenant que les prix ont commencé à baisser, ils vont continuer à focaliser sur des réductions d’investissement. C’est d’ailleurs pour cela que vous avez eu des sociétés de services pétroliers qui ont été très impactées. Tout à l’heure quand on parlait « qui est impacté, le plus ou le moins ? », je dirais dans l’industrie ceux qui sont le plus touché, ce sont les sociétés de services pétroliers qui, elles, sont de plein front sur les investissements en amont, à la fois du côté de l’exploration et du développement. Donc une réduction des investissements des compagnies pétrolières, bien entendu, les touche de plein fouet, et bien entendu des compagnies comme Total ou Shell ou même BP peuvent se permettre de réduire la voilure puisque on sort d’une forte phase d’investissement. Ils peuvent se laisser porter sur les deux, trois prochaines années avec des productions qui vont croître, et donc du coup des cash-flows aussi qui vont croître et qui vont permettre un retour à l’actionnaire assez significatif.
Web TV www.labourseetlavie.com : On voit donc ce marché très différent de ce qu’il était il y a encore quelques années avec le poids des États-Unis où on envisage même qu’en 2015… on voit par exemple que le Nigéria qui exportait du pétrole aux États-Unis ne le fait plus, il y a un véritable changement complet, on va dire, sur le pétrole dans le monde avec cette nouvelle production américaine ?
Sandrine Cauvin, gérante chez Turgot AM : Tout à fait puisque les États-Unis… C’est d’ailleurs aussi pour cela que l’Arabie Saoudite ne bouge pas, parce que les États-Unis important moins, ils consomment plus chez eux. Il y a quand même une demande effectivement au niveau mondial qui est moins importante, et puis surtout aussi il y a un concurrent aussi plus important pour les anciens producteurs, et en particulier l’Arabie Saoudite. Donc effectivement aujourd’hui on est sur un marché qui a totalement changé. On ne l’avait pas vu au départ parce que c’est vrai que c’est encore assez récent, le pétrole de schiste, c’est depuis cinq , sept ans à peu près qu’on l’explore. Là maintenant on constate l’ampleur de toutes ces productions qui arrivent. Par contre, il va quand même être assez intéressant de voir quel est vraiment le seuil de rentabilité parce que, je vous le disais en tout début d’intervention, il y a certaines sociétés de production de schiste qui commencent à dire, les petites, qu’à ces prix-là, cela devient quand même compliqué, notamment pas parce que c’est coûteux, mais parce que c’est un problème d’accès au financement qui va se poser. Donc on va commencer quand même à avoir peut-être un ralentissement de la croissance de la production américaine, peut-être à partir du deuxième semestre 2015.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc là on aura au mois de novembre le rendez-vous de l’OPEP, donc avec d’éventuelles discussions, pour l’instant il n’y a pas de changement annoncé du côté de l’OPEP. Quelque part il y a cette problématique de parts de marché, si on réduit, les États-Unis prennent les parts de marché ?
Sandrine Cauvin, gérante chez Turgot AM : Exactement, les États-Unis ou même la Libye qui revient parce que ce n’est pas juste les États-Unis. Au sein de l’open, on sait qu’il y avait des producteurs qui, l’Iran aussi, qui étaient absents ces dernières années, qui reviennent, et effectivement il faut leur faire la place et là, on est en pleine guerre des prix et les saoudiens ont dit, « nous on peut se permettre… », ils ont annoncé à peu près entre 12 et 24 mois, donc cela va être intéressant effectivement de voir ce qu’est ce qui va se passer sur les 12,24 mois prochains, si on a des prix qui restent sous pression.
Web TV www.labourseetlavie.com : Parce que là on voit, si on se rappelle notamment en mars 2012, on était à 128 $ sur le brut avec les conflits, les menaces d’Israël sur l’Iran, certains commencent à faire des scénarios pour 2015 en disant « il pourrait à nouveau y avoir ce sujet-là » et donc, attention aux investisseurs, cela pourrait très bien repartir dans l’autre sens, c’est effectivement le scénario que l’on ne peut pas exclure ?
Sandrine Cauvin, gérante chez Turgot AM : On ne peut pas exclure qu’effectivement les prix repartent assez fortement… Il y a des forces de rappels qui vont quand même se produire là assez rapidement. On n’est pas encore entré en période hivernale. Je pense que déjà la consommation hivernale va jouer, va jouer un peu son rôle, donc on devrait avoir une remontée par rapport à cela. Et la deuxième force de rappel, cela va être effectivement les rentabilités des productions parce que les productions les moins rentables vont être tout de suite touchées de plein fouet et c’est là que normalement on devrait avoir un marché qui va se rééquilibrer au niveau de l’offre et de la demande et avoir des prix qui redeviennent dans des zones un peu plus confortables pour les producteurs.
Web TV www.labourseetlavie.com : On suivra cela. Merci d’avoir fait le point avec nous Sandrine Cauvin.
Sandrine Cauvin, gérante chez Turgot AM : Merci.
Cet interview a été tournée au Club Confair, 54 rue Laffite, 75009 Paris :
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