Xavier Lépine Président du Directoire La Française : "Des modèles économiques qui changent avec des agents économiques qui ne changent pas".
Regard sur les marchés et l'économie dans la crise qui dure

19 février 2015 16 h 29 min
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Dans sa dernière lettre  Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française y va fort avec ce titre : « Ça va péter ? ».

« La grande crise de 2008 a fait brutalement prendre conscience que le monde était en train de changer de paradigme, terme devenu très à la mode, pour évoquer tout à la fois les changements de modèles économiques liés à la technologie, la globalisation, la consécration de la Chine comme premier acteur mondial, le recul des pays occidentaux. 

Aujourd’hui, le terme à la mode dans le grand salon de Davos, c’est « disruption », le moment où l’innovation est d’une telle portée qu’elle casse un système établi et impose un autre standard ; Uber et les taxis, Airbnb dans l’hôtellerie en sont de bons exemples. 

Mais la disruption s’applique aujourd’hui dans tous les domaines de la vie créant un niveau d’incertitude inégalé. »

J’en parle avec lui dans cette vidéo.

 

Web TV www.labourseetlavie.com : Xavier Lépine, bonjour. Vous êtes le président du directoire de La Française. On va parler avec vous d’économie et de marchés puisque on s’était vu la dernière fois, on avait parlé de cette économie, ce capitalisme qui est en train de connaître une nouvelle révolution avec ce que l’on appelle la disruption economy, on peut dire économie de rupture, ces nouveaux noms qui s’appellent Uber pour les transports ou Airbnb pour citer ces sociétés américaines. Aujourd’hui, vous vous posez la question, vous dites « ça va péter ? », donc cela nous interpelle forcément puisque vous, vous êtes investisseur, vous suivez ces marchés financiers, qu’est-ce qui aujourd’hui vous préoccupe peut-être ?

Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française : Il y a un ensemble de points. Le premier point, c’est de dire finalement, si on regarde ce qui se passe depuis quarante ans, on a tous les six ou sept ans eu une crise. Cela a toujours été une crise qui a été causée à la base par de l’endettement, et à chaque fois, depuis 73, on a eu 73, 79, 82, 87, 94, 2000, 2000-2007 évidemment, et à chaque fois cette crise s’est traduite par un transfert de l’endettement privé vers un endettement public. Donc cet endettement privé, c’était parfois les ménages, parfois les sociétés, parfois les banques, et à chaque fois on a eu toujours un endettement public est venu relayer et sauver le système. Aujourd’hui, on est passé à une étape supplémentaire, les états sont surendettés, et ce sont donc les banques centrales qui jouent leur rôle de prêteur en dernier ressort, mais maintenant on y est, on n’a plus personne derrière. Ce que je me dis, c’est… On a eu une dernière crise en 92, quand va arriver la suivante et pourquoi elle arriverait ? Pourquoi elle arriverait ? C’est là la question que l’on peut se poser. Elle est de deux natures, elle est économique et politique. Sur le plan politique, l’Europe n’a toujours pas résolu ses problèmes, on voit bien ce qui se passe avec la Grèce aujourd’hui. Donc comment va-t-on sortir de ce système-là à partir du moment où les banques centrales peuvent arriver aussi en bout de course, et sur le plan économique, on voit bien que les taux d’intérêt sont extrêmement bas, que le potentiel de croissance notamment en Europe est extrêmement faible.

Web TV www.labourseetlavie.com : La différence justement par rapport aux précédentes crises parce qu’on trouve ce même phénomène avec cet endettement endémique, habituellement on en sortait par de l’inflation, par quel support finalement ?

Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française : Effectivement, depuis quelques années, on parlait beaucoup de changement de système, d’évolution liée à la globalisation, de tout cela, la réalité, c’est qu’aujourd’hui l’inflation ne la décide plus. Donc, autrefois, quand on avait un problème de dette, cela se traduisait généralement par l’euthanasie du rentier. On avait différentes manières de le faire, l’inflation est un moyen très commode. Là aujourd’hui on voit que cela ne marche plus puisque on ne peut plus créer d’inflation, on a même plutôt le problème inverse, donc on arrive dans une situation où d’un côté les états sont très endettés, les personnes physiques finalement depuis trente ans ont plutôt accumulé du capital. Vous vous apercevez que dans les pays occidentaux l’épargne représente sept années de revenus alors qu’en moyenne, alors que la dette des pays, c’est entre une et deux années. Il y a donc eu un transfert de richesse vers les particuliers. Jusque-là très bien, la réalité, c’est que ce transfert de richesse vers les particuliers, il ne s’est pas fait de façon homothétique surtout les particuliers. On le sait très bien, il y a une très forte concentration de la richesse sur un tout petit nombre, ce qui fait que l’une des raisons qui peut nous poser problème et qui est politique et sociale, c’est de dire les états ne peuvent aider les particuliers puisqu’ils sont surendettés, et dans la répartition de la richesse des particuliers, c’est très concentré. Donc on ne voit pas très bien comment, de ce côté-là, on peut s’en sortir. Sur le plan de la croissance, vous avez globalement trois théories. Vous avez la théorie de Jean Tirole qui nous dit : « On rentre dans une stagnation séculaire du fait des taux d’intérêt extrêmement bas », stagnation séculaire veut dire augmentation du chômage, donc encore augmentation des inégalités de ce fait-là. On a, d’un côté, la nouvelle économie qui a l’air de se porter très bien et l’ancienne économie qui a accumulé une dette énorme et dont on ne voit pas la sortie. Donc on a la théorie de Jean Tirole qui nous dit quelque part « Cela peut péter », on a la théorie d’Alain Madelin qui nous dit au contraire « On est face à une hyper croissance du fait de ces nouvelles technologies », mais on voit qu’elles sont concentrées sur très peu d’acteurs, et puis il y a la théorie de Jacques Attali qui, il y a cinq ans, écrivait « Tous ruinés dans 10 ans », on s’en rapproche. Et là également on peut légitimement s’interroger si l’Europe ne se le crée pas plus, comment l’Europe peut-elle sortir de cette situation ? Voilà, donc cette interrogation, elle est liée effectivement à ces disruptions, comme disent les Anglo-Saxons, c’est-à-dire des modèles économiques qui changent avec des agents économiques qui ne changent pas. La disruption, concrètement c’est quoi ? C’est finalement l’obsolescence qui est beaucoup plus rapide que la vétusté. L’obsolescence, on le voit par exemple quand on sort l’iPhone 6 qui vient mettre à bas l’iPad, ça c’est un problème à la limite intra Apple, mais c’est effectivement aussi l’immeuble tertiaire qui n’est plus, qui ne trouve plus preneur parce qu’il est obsolète bien qu’il ne soit pas vétuste, et c’est aussi le cadre de 45 ans qui est tout simplement obsolète et qui ne trouve plus d’emploi dans cette nouvelle économie.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc il y a une vraie problématique de fond sur effectivement… Parfois les investisseurs disaient « Pour l’Europe, c’est le Japon. Donc on va voir pendant une dizaine d’années de faible croissance, voire plus », donc ça c’était quand on envisageait le pire, en quelque sorte, mais tant que l’on ne retrouve pas cette croissance, que l’on ne retrouve pas des clés pour peut être aussi être dans la nouvelle économie parce que là on a beaucoup parlé mais de sociétés américaines aujourd’hui ?

Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française : Oui, c’est l’une des difficultés pour l’Europe, c’est qu’effectivement il y a de la croissance, notamment dans la nouvelle économie, mais est-on organisé en Europe pour aller dessus ? Effectivement les Japonais n’ont pas de croissance maintenant depuis 20 ans, mais ils n’ont pas de démographie non plus. Donc, à la limite, c’est très triste pour eux, mais l’année dernière ils ont vendu plus de couches-culottes pour adultes que de lait maternisé pour enfants. C’est une société vieillissante. On a la chance de ne pas avoir cette société vieillissante en Europe, mais la contrepartie, c’est qu’est-ce que l’on fait des gens si, effectivement, ils n’ont plus de rôle au sens producteur du terme ? Donc le robot est en même temps merveilleux puisque il va remplacer beaucoup de choses, il ne fait pas grève, il ne fait pas les 35 heures, il peut travailler toute la semaine, donc on ne se posera pas la question de l’ouverture du dimanche pour un robot, mais comment occupe-t-on les gens, enfin je veux dire dans leur rôle de producteur ? Et là, effectivement aux États-Unis, on observe encore une croissance de population importante, mais clairement la technologie se développe beaucoup plus rapidement là-bas parce que les infrastructures économiques, sociales, politiques sont beaucoup plus orientées.

Web TV www.labourseetlavie.com : Cela va être effectivement l’enjeu des prochains mois. Alors, je disais en introduction que vous êtes aussi investisseur, La Française, bien entendu, cela veut dire que c’est plus compliqué aussi d’investir dans ces marchés-là puisque on parle à nouveau de nouvelles économies et puis on voit cette croissance qui n’est pas là, notamment en Europe, cela n’empêche pas les marchés… quand on regarde en ce moment le CAC 40 est au plus haut, donc il y a des paradoxes aussi de marché ?

Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française : Les paradoxes de marché, effectivement ils existent toujours à court terme. On a bien vu historiquement que l’on pouvait avoir des croissances importantes et des marchés boursiers finalement faibles, et réciproquement, donc ces phénomènes de balancier, de rattrapage de liquidités, aujourd’hui on a un hélicoptère qui donne de la liquidité quasiment infinie avec la décision de quantitative easing de la BCE, cela fait mécaniquement monter les marchés. Après, il y aura la vérité et il faudra savoir sortir à un certain moment pour aller se positionner là où il faut. Ce que veulent les investisseurs est assez clair. Ils se disent « Je veux des produits de cash-flow. Donc est-ce que je peux avoir comme produit de cash-flow avec un degré de certitude suffisamment fort ? » Aujourd’hui nous sommes dans une situation qui est quand même un peu paradoxale dans le sens où les taux d’intérêt sont beaucoup plus bas que les dividendes. Ce n’est pas un état naturel de l’économie, cela peut durer, cela peut durer un certain temps. Maintenant il va falloir… Cela signifie aussi clairement que le couple Rendement sur risque est extrêmement dégradé, c’est-à-dire que le rendement est faible par rapport aux risques qui augmentent. Donc ce qui veut dire que les portefeuilles sont globalement plus risqués, cela c’est purement mathématiques, maintenant comment répondre à cela en tant qu’asset manager, je pense que la diversification entre des actifs réels générateurs de cash-flow, l’utilisation des produits dérivés pour se couvrir d’un certain nombre de risques extrêmes sont aussi une réponse, et d’une manière générale une diversification, une agilité dans les marchés. On a, en parlant de risque extrême, on a bien évidemment l’Europe qui est un risque extrême, ça, comment peut-on se couvrir ? Il y a des CDS sur les écartements de spreads entre l’Allemagne et le reste de l’Europe, cela peut être une solution, c’est-à-dire le recours à un gérant pour le faire. Vous avez également un risque de cyber attaque qui manifestement devient de plus en plus important, ce n’est pas tant la cyber attaque en soi qui est un problème, encore que, mais la réalité, c’est que cela peut vous faire chuter le Nasdaq de 50 %. Que doit faire un gérant d’actifs ? Se protéger de cette baisse et probablement acheter peut-être cher des sociétés qui développent des technologies pour se protéger des cyber attaques. Et vous pouvez raisonner également comme cela dans le domaine de la carbonisation, de tout ce qui est du domaine du carbone, qui est à l’évidence un sujet de moyen terme, mais le moyen terme il est aujourd’hui, là également la baisse du prix du pétrole est une opportunité unique pour mettre en place une taxe carbone et résoudre ce problème.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc là, cela va être clairement pour l’investisseur lister tous les risques, et ils sont nombreux, et agir en conséquence ?

Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française : Tout à fait.

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci Xavier Lépine d’avoir été avec nous.

Xavier Lépine, Président du Directoire de La Française : Merci.