L'Économie en VO : Débat économique consacré à l'impact de la Mondialisation sur les entreprises et les salariés (1ère partie).
1ère partie consacrée à l'impact de la Mondialisation
Débat économique dans le cadre du magazine “l’Economie en VO” en partenariat avec la Banque Palatine : La Mondialisation et ses conséquences pour les entreprises et les salariés.
Web TV www.labourseetlavie.com : Bonjour à tous et bienvenue dans l’émission « L’économie en VO », notre débat économique sur la Web TV www.labourseetlavie.com. Cette semaine on va débattre bien sûr à nouveau d’économie avec le sujet concernant la mondialisation. On en parle beaucoup après notamment ce qui s’est passé cet été sur les marchés financiers. Comment la France peut-elle retrouver de la compétitivité autrement que par des mesures classiques et peut-être profiter aussi plus de cette mondialisation puisque la croissance est là, mais pas forcément en Europe, pas forcément aux Etats-Unis ? On va en parler avec nos trois invités aujourd’hui :
Bertrand Collomb qui est Président d’honneur de Lafarge, bonjour.
Bertrand Collomb : Bonjour.
Web TV www.labourseetlavie.com : Merci d’être avec nous.
François Enaud qui est le PDG du Groupe Steria, bonjour.
François Enaud : Bonjour.
Web TV www.labourseetlavie.com : Et puis François Martin bonjour,
François Martin : Bonjour
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes consultant international. Alors vous voyagez beaucoup comme sans doute nos PDG qui sont là aujourd’hui. On va peut-être commencer avec vous puisque cette mondialisation elle ne date pas d’hier mais on a l’impression qu’on en parle de plus en plus mais qu’on la découvre aujourd’hui. Je pourrais rappeler récemment des ouvrages qui ont pu être écrits sur ce sujet, pourquoi on en parle plus aujourd’hui de cette mondialisation, c’est qu’elle fait d’abord peur ?
François Martin : D’abord, je pense qu’on en a toujours parlé un petit peu d’une certaine façon mais je pense que le rythme d’accroissement aujourd’hui fait qu’elle impacte beaucoup plus nos modes de vie que ça l’a été par le passé. Aujourd’hui la plupart des menaces qu’on considérait autrefois comme exogènes, en fait aujourd’hui sont endogènes. Quand il se passe quelque chose en Chine, cela joue directement sur nos modes de vie. Évidemment c’est devenu un élément de discussion important à l’intérieur de l’opinion et en particulier depuis la crise de 2008 bien entendu. Voilà, donc je pense que c’est cela le constat. Quand j’avais commencé à travailler sur mon livre on m’avait dit avant la crise : « la mondialisation n’intéressera personne, vous aurez 30 lecteurs ». Voilà l’état d’esprit.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous avez été un peu provocateur. « Mondialisation sans peur ». Aujourd’hui si on sortait tous les trois du studio, on interrogerait des gens, ils nous diraient : « mondialisation, cela fait peur ».
François Martin : Voilà c’est cela effectivement. Donc moi je n’ai pas dit « mondialisation sans risque, » j’ai dit « mondialisation sans peur » parce que je pense que nous vivons très bien avec les menaces que nous connaissons depuis longtemps. Quand on sort de chez soi, on est en risque. Quand on a une maladie, on est en risque. Donc on vit très bien avec le risque. Le problème c’est que l’on vit mal avec le risque que l’on ne connaît pas. Donc je pense qu’il y a un gros effort de pédagogie qui est à faire par rapport aux risques de la mondialisation et j’en avais discuté avec Hubert Védrine d’ailleurs que j’avais invité dans une conférence de l’association HEC qui disait exactement la même chose. Il y a un énorme effort à faire de pédagogie je pense par rapport à cela pour que simplement les gens comprennent qu’est ce qu’il y a derrière tout ça, quelles sont les notions, etc. C’est pour cela que j’ai écrit ce livre.
Web TV www.labourseetlavie.com : C’est-à-dire quelque part la mondialisation est là, elle s’est installée sans que la plupart des Français ou en tout cas pas la majorité des Français s’en soient rendu compte c’est-à-dire qu’est ce qu’il y a derrière cette mondialisation ? Qu’est-ce que cela a changé pour les échanges, pour leur vie quotidienne ?
François Martin : Oui absolument. Et un autre phénomène qui est particulier, c’est le fait que en fait on n’a pas changé de paradigme. C’est-à-dire que l’on a un système de pensée qui est hérité, je dirais, d’une période stable et on essaye aujourd’hui de comprendre les phénomènes nouveaux mais sans déconstruire les paradigmes. Or si on n’explique pas ce qui a changé dans le fonctionnement du monde et dans nos propres modes de pensée, on essaye d’appliquer des solutions dans un système ancien. Donc il faut déjà, je dirais, se déshabiller d’une certaine façon de penser, d’aller s’installer ailleurs, ce que je dis dans le livre, d’un autre côté du champ de courses, et à ce moment-là on voit d’autres perspectives. Les chefs d’entreprise d’ailleurs ont l’habitude de cela mais la plupart des gens n’ont pas l’habitude, et puis à ce moment-là on voit les choses différemment et à partir de cela, on peut comprendre.
Web TV www.labourseetlavie.com : C’est quand même une révolution culturelle, c’est quelque chose d’assez fort, c’est un changement important
François Martin : Oui, tout à fait, à proprement parler, je pense que le mot est bien choisi, c’est à proprement parler une révolution culturelle, oui tout à fait.
Web TV www.labourseetlavie.com : Quand on parle de compétitivité, on a beaucoup parlé ces derniers temps de compétitivité de l’Europe, on met souvent cela en comparant justement d’autres zones où la compétitivité est « meilleure », cela se discute, cela passe d’abord par le facteur humain ? Cela passe d’abord par les entreprises ?
François Martin : Alors bien sûr. Mais si vous voulez, pour recadrer le débat un petit peu, je pourrais essayer de partir de trois réflexions qui tournent autour du modèle social et de la compétitivité parce qu’on est au cœur de la question.
L’une, c’est une réflexion de Xavier Bertrand hier à l’université du Medef sur le campus d’HEC. Il disait deux choses lors de la conférence sur le sujet. Il disait : « moi j’explique notre endettement simplement par le fait que au moment où il a commencé à y avoir du dumping social et environnemental d’ailleurs, nous n’avons pas voulu sacrifier notre modèle social qui est constitutif de notre identité, et de notre compétitivité d’ailleurs, et que donc on s’est endetté par rapport à cela ». C’est la première chose. Donc il explique l’endettement comme cela. Et il dit : « le problème aujourd’hui c’est que on ne peut pas sacrifier notre modèle social parce que sinon on casse notre civilisation. On ne peut pas le financer par la dette parce qu’on en a trop et on ne peut pas non plus le financer par les taxes parce qu’on ne veut pas plomber les entreprises ». Donc si on ne le peut financer ni par les taxes, ni par la dette, ni non plus par la monnaie comme disait Christian de Boissieu dans une conférence, on a un problème de sous compétitivité qu’on ne peut pas financer aujourd’hui, qu’on ne peut pas compenser par la baisse de la monnaie parce qu’on est lié à l’euro. On ne peut pas dévaluer.
Et une autre réflexion, c’est la troisième, que je n’ai vu nulle part malheureusement mais que j’ai écrite dans l’annexe du rapport Boutin que j’ai faite qui est que, à mon avis, on a un problème grave de crédibilité. Il y a une fracture Nord-Sud, une fracture de la compétitivité Nord-Sud qui est gravissime et dont on ne se rend pas compte. J’ai été en Chine l’année dernière pendant mes vacances, les Chinois considéraient les Indiens comme des nullissimes parce qu’ils faisaient 7 % de croissance, ou 6 ou 7 %, alors que eux faisaient 10-12. Par rapport à cela, comment nous considérons- nous qui en faisons 2 ? Alors ce que je veux dire c’est que l’on a un problème de crédibilité. Alors à mon avis les négociations qui concernent, on parle beaucoup de régulation, mais si on discute avec des interlocuteurs pour lesquels on n’est pas crédible, les régulations ce n’est pas possible. On ne peut pas réguler, on ne peut pas financer par la dette, on ne peut pas financer par les taxes, on ne peut pas baisser la monnaie, comment on fait ?
Donc on a trois pièges. Il n’y a pas beaucoup de solutions.
À mon avis il n’y en a que deux. L’une dont on n’ose pas parler, c’est celle qui consiste à se protéger. Dès qu’on parle de protectionnisme on se bouche le nez. Et l’autre c’est de trouver des nouveaux gisements de productivité. Donc je suis persuadé que la campagne présidentielle va tourner essentiellement autour de cette question : comment trouver des nouveaux gisements de compétitivité et c’est pour cela que je pense que c’est très intéressant d’avoir l’avis des chefs d’entreprises qui eux vivent ça au quotidien dans leur environnement.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors justement Bertrand Collomb on parlait de l’entreprise. Vous avez d’ailleurs écrit l’année dernière un ouvrage avec Michel Drancourt sur « plaidoyer pour l’entreprise » cela veut dire que si vous avez écrit cet ouvrage c’est que vous pensiez qu’il y avait un malaise en quelque sorte entre peut-être les Français et l’entreprise globalement. Cette mondialisation si on prend le Groupe Lafarge elle a été rapide pour un groupe comme Lafarge et elle a été forte ?
Bertrand Collomb : Oui. Les entreprises elles vivent dans la mondialisation depuis disons au moins 25 ans. Cela a été un mouvement considérable qui a été quand même une source d’opportunités extraordinaires. Et les Français, cette mondialisation, ils s’en rendent bien compte parce que vous savez quand même quand ils ont leur téléphone mobile, quand ils ont leur iPad, etc., ils savent bien que tout cela c’est le résultat d’un énorme mouvement technologique d’innovations, etc. qui est mondial.
Alors le seul problème c’est comment on réagit par rapport à cela et est-ce que l’on peut rentrer dans la mondialisation en pensant que l’on ne va rien changer ? Les entreprises, elles ont été obligées de changer beaucoup de choses et les Français dans les entreprises, comme les autres, comme les non français, ils ont tout à fait été d’accord pour changer. Donc je pense qu’il n’y a pas un conservatisme individuel des Français quand ils sont face un problème qu’ils comprennent.
Alors l’approche que vous évoquiez comme étant l’approche de Xavier Bertrand, je la trouve un peu globale parce que quand on regarde intellectuellement un problème, très souvent on dit : « il n’y a pas de solution ».
Les entreprises ont eu des problèmes, des problèmes de ce type-là, il fallait à la fois réduire les coûts et puis il fallait augmenter les ressources humaines, augmenter le marketing,… Il n’y a pas de solution. Et bien si il y a des solutions, la solution ça s’appelle l’efficacité. Et en fait moi je refuse de dire qu’il y a un problème d’abandonner notre modèle social, nous avons un problème de solidarité et d’efficacité. Nous voulons maintenir de la solidarité mais la solidarité cela peut être efficace ou cela peut être inefficace. Ce dont il faut se débarrasser, ce sont les modèles inefficaces de solidarité.
Le problème de la compétitivité française, notamment par rapport à l’Allemagne, c’est assez curieux. Finalement en moyenne les Français sont plus riches que les Allemands, le revenu par habitant est du même ordre mais légèrement supérieur. Pourtant ici on a l’impression qu’on est pauvre, quand on traverse le Rhin, on a l’impression qu’on est riche. Pourquoi ? Parce que les frais généraux de la nation sont trop élevés. On sait bien cela, alors cela veut dire charges sociales, cela veut dire etc., cela veut dire que ce dont les gens peuvent disposer pour leur vie est plus faible parce qu’il y a trop de pertes en ligne, donc c’est cela qui est notre problème.
Web TV www.labourseetlavie.com : L’argument souvent invoqué, en tout cas par ceux qui dirigent l’Etat au cours des dernières années, cela a été de dire : « oui mais il y a des infrastructures, il y a des services publics », il y a un certain nombre d’éléments que peut-être par exemple si on va en Angleterre, il y a une ligne sur le bulletin de salaire, la retenue à la source et la partie sécurité sociale, il n’y a pas toutes les listes qu’on a aujourd’hui sur les bulletins de salaire, mais il n’y a pas forcément les mêmes services.
Bertrand Collomb : On n’est pas obligé de faire des choses compliquées aussi. Nous avons quand même une tendance à la complexité qui est absolument extraordinaire.
Web TV www.labourseetlavie.com : François Enaud, sur cette évolution, on parlait de 25 ans, on n’a pas l’impression que l’on en parle depuis 25 ans en tout cas de la mondialisation, clairement, dans des débats, c’est encore récent ?
François Enaud : Cela a été dit, mais il faut distinguer la mondialisation telle qu’elle est perçue par les entreprises qui sont effectivement – et je partage complètement ce que disait Bertrand Collomb – à savoir que effectivement les entreprises sont engagées dans cette mondialisation et dans cette compétition ouverte depuis plusieurs décennies, alors que la perception dont on parle actuellement de la mondialisation par le grand public est beaucoup plus récente. Alors que ce même grand public en France bénéficie de la mondialisation depuis bien des années. Vous preniez des exemples, mais quand on achète des T-shirts à cinq euros, c’est bien le fruit de la mondialisation, tout le monde s’en félicite d’une certaine manière en tant que consommateurs.
Donc je crois qu’en fait ce que l’on perçoit actuellement c’est que jusque-là on a été les « mondialisateurs » et que maintenant on est peut-être un petit peu souvent de l’autre côté on est mondialisé. Il faut accepter aussi et c’est difficile souvent d’accepter d’aller de l’autre côté du champ de courses, comme vous le disiez, et d’avoir peut-être un rôle un peu différent et on ne peut pas toujours être les gagnants d’un jeu, c’est un jeu ouvert et c’est un jeu effectivement où chacun joue sa partie.
Bon maintenant dans les entreprises, c’est vrai que cela représentait également beaucoup, beaucoup d’efforts. Steria est une entreprise plus jeune que Lafarge mais l’ouverture à l’international, et de manière assez globale, s’est faite il y a une dizaine d’années et c’est vrai qu’avant l’épicentre de l’entreprise était très français et tout était raisonné par rapport et au travers de la France, au travers du spectre et du mode de pensée français. Il a fallu une vraie transformation culturelle énorme, qui ne s’est pas faite en un jour, et qui a fait un peu grincer les équipes françaises pour s’adapter à une configuration beaucoup plus ouverte, avec des règles du jeu un peu différentes y compris au sein même de l’entreprise.
Voilà je crois, c’est ce que les Français, d’une manière un peu plus globale, sont en train de découvrir qu’effectivement la mondialisation, cela oblige à des transformations du mode de pensée, et puis je partage complètement cette… On est victime de nos forces c’est-à-dire que l’on a un peu des illusions qui sont parfois un peu faussées par l’idée que l’on se fait de nos atouts. On a de vrais atouts
Web TV www.labourseetlavie.com : Si on les met sur la table les atouts
François Enaud : On a une démographie qui est la meilleure parmi les pays développés, on a un modèle social qui est extraordinaire, on a un bon système éducatif, on a des organismes de recherches qui sont très réputés, etc.
Web TV www.labourseetlavie.com : La démographie, vous vous ne la mettriez pas comme la cause du chômage comme on l’a entendu cette semaine ?
François Enaud : Cela dépend qu’est-ce qu’on fait de la de la force, on a une force extraordinaire de jeunes et une population potentiellement active, effectivement qu’est-ce qu’on en fait ? Je crois que l’on a des atouts mais le problème souvent c’est que ces atouts peuvent se transformer en une faiblesse si d’abord lorsque l’on est un peu bercé par ces atouts et que l’on refuse de les regarder tels qu’ils sont et de les faire évoluer.
Web TV www.labourseetlavie.com : C’est peut-être ça, c’est une remise en cause peut-être plus rapide
François Enaud : Même dans une entreprise, vous avez un avantage compétitif un jour donné, si vous ne le travaillez pas en permanence cela devient, cela peut devenir rapidement votre talon d’Achille. Il en va de même au niveau d’une nation, on a de vrais atouts, c’est vrai, attention que cela ne soit pas, que cela ne devienne pas des faiblesses faute de les avoir observés et de les avoir faits évoluer comme il faut. Et puis bien sûr le risque de la …, en France on souffre beaucoup de sophistication, notre modèle social effectivement est extraordinaire mais qu’est-ce qu’il est compliqué et qu’est-ce qu’il est coûteux et du coup à chaque fois cela pose la question de l’efficacité de l’argent investi.
Fin de la 1ère partie
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Pour l’ouvrage de François Martin consultant international, un site lui est consacré : www.mondialisationsanspeur.com
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