Les entreprises et la Mondialisation, 1ère partie dans le Magazine TV "L'Économie en VO".
Avec Xavier Fontanet (administrateur Essilor), Alexandre Kateb (économiste) et François Martin (consultant)
L’Economie en VO, Débat économique avec Xavier Fontanet – Administrateur Essilor, François Martin – Consultant international et Alexandre Kateb – Economiste, 1ère partie.
Pour la suite du débat :
- Deuxième partie : Mondialisation 2
- Troisième partie : Mondialisation 3
- Quatrième partie : Mondialisation 4
Web TV www.labourseetlavie.com : Bonjour à tous. Bienvenue dans « l’économie en VO », notre débat économique sur la Web TV www.labourseetlavie.com. Dans ce magazine, à nouveau, nous allons aborder les questions de mondialisation. Comment les entreprises font face ou profitent de cette mondialisation dans un contexte de crise ? Ce n’est pas évident de parler de ce sujet et je vais remercier les trois invités qui sont venus en parler avec nous aujourd’hui, Xavier Fontanet bonjour
Xavier Fontanet : Bonjour.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes le président d’Essilor, vous passerez la main en janvier 2012
Xavier Fontanet : 2 janvier oui
Web TV www.labourseetlavie.com : Après 20 années passées ?
Xavier Fontanet : Oui 21 années
Web TV www.labourseetlavie.com : 20 années passées à Essilor, une expérience que vous avez évoquée dans un livre « Si on faisait confiance aux entrepreneurs », on aura l’occasion d’en reparler. Autre invité avec nous, François Martin, bonjour.
François Martin : Bonjour Didier.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes consultant international. On avait l’occasion d’évoquer ce sujet il y a pratiquement deux mois maintenant avec Bertrand Collomb, PDG de Lafarge, vous étiez également notre invité, vous avez écrit, vous, « La mondialisation sans peur », pas sans risque, on va y revenir avec vous. Et puis Alexandre Kateb, bonjour.
Alexandre Kateb : Bonjour Didier.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous êtes économiste et vous avez écrit vous un livre sur les BRICS ces fameuses puissances émergentes qui sont de moins en moins émergentes, qui sont émergées de plus en plus. On verra avec vous ce que cela peut apporter, comment elles redéfinissent peut-être le monde que l’on est en train de vivre, on va voir donc cela avec vous.
Peut-être pour commencer avec vous François Martin, pour revenir, quand on voit cette crise financière, boursière, dans la zone euro, les questions de dette souveraine, parler de compétitivité aujourd’hui est-ce que cela n’est pas un peu …, est-ce que l’on n’est pas en dehors du sujet principal ?
François Martin : C’est vrai que quand on regarde ce qui se passe aujourd’hui, on a l’impression que l’on est dans une espèce de jeu de vidéo où tout explose, alors on voit exploser les marchés, on voit exploser les banques, on voit exploser les dettes, on voit exploser les pays les uns après les autres, alors on se dit c’est la catastrophe. Et puis en même temps si on essaie de garder un peu son sang-froid, et que l’on regarde les choses d’un peu plus haut, on se dit finalement il y a quand même un certain nombre d’enseignements à tirer qui sont positifs.
Un des premiers enseignements, c’est que ce n’est pas la catastrophe partout puisque la croissance mondiale en moyenne est de 4,5 %. Donc je veux dire cela veut bien dire qu’il y a des pays qui marchent, qui marchent même très bien. Donc ça c’est un premier point.
Un deuxième point, c’est le fait que à quelque chose malheur est bon parce que en fait on sort d’une période postcoloniale où nous avions un désavantage éhonté et aujourd’hui tout le monde sur le même plan. Nous n’avons pas les mêmes avantages et les mêmes difficultés dans les pays du Nord et du Sud, je dirais que les pays du Sud bénéficient d’une main-d’œuvre importante à bas coût mais ils ont en inconvénient le fait de devoir financer leurs infrastructures, de créer leur marché intérieur, de monter en technologie, se sont quand même des sacrés défis. Nous, tout cela nous en disposons, nos infrastructures sont payées, par contre nous avons le poids de nos retraités c’est-à-dire notre main-d’œuvre qui est moins importante et qui est chère. Chacun a ses atouts. Donc ce qui m’étonne là-dedans c’est que on parle si peu de la compétitivité parce que finalement chacun est sur la même ligne, on remet les compteurs à zéro et puis tout le monde se bat. Que le meilleur gagne. C’est plutôt sain et plutôt positif. Simplement pour terminer, je dirais que dans cet aspect de compétitivité il y a deux aspects : dans la compétitivité globale, il y a la partie publique c’est-à-dire le coût du service public – ça c’est un grand sujet dont on va parler, je crois M. Fontanet que c’est un sujet que vous aimez bien – et puis il y a d’autre part la compétitivité des entreprises, les grandes et les petites. Là-dedans il y a des recettes. Voilà je crois qu’il faut parler de tout cela.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alexandre Kateb, sur ces pays, sur ces BRICS, vous parlez de convergence effectivement en disant que finalement le monde s’est rééquilibré, on ne s’en est pas forcément encore bien aperçu, on ne s’en rend pas encore complètement compte, qu’est-ce qui a fait cette convergence finalement ?
Alexandre Kateb : Oui c’est vraiment un changement systémique. On parle beaucoup de pays émergents, mais pour moi plus que de pays émergents, c’est effectivement cette notion de grande convergence quelque part entre les pays occidentaux qui ont eu leur phase de développement industriel, d’urbanisation, etc. au cours des deux derniers siècles, et puis ces grands pays émergents qui ont démarré plus tard leur industrialisation, leur développement, et qui aujourd’hui s’affirment par leur poids démographique et territorial comme les vrais moteurs de l’économie mondiale et c’est à ce titre que je parle de grande convergence qui fait suite finalement à cette grande divergence provisoire apparue entre l’Occident et le reste du monde. Et aujourd’hui je crois que sur le plan économique on commence à intégrer cette réalité, on commence à la voir en tout cas, mais dans les mentalités, il y a quelque chose qui n’a pas changé, on n’a pas encore réalisé les implications systémiques, je dirais, et toutes les dimensions de ce grand changement, de cette grande convergence.
Web TV www.labourseetlavie.com : On n’a pas vu, en tout cas la plupart des habitants n’ont pas vu cette évolution. On le voit quand on achète un T-shirt qui est sans doute made in China, made in Malaysia, etc. mais on n’a pas vu concrètement les changements qu’il y avait derrière, c’est-à-dire que on voit de la technologie, on voit aussi d’autres choses importantes sur ces pays.
Alexandre Kateb : Tout à fait. Alors on le voit de manière je dirais assez superficielle parce qu’il y a quand même le principe de proximité qui est aussi un bon principe mais finalement on garde notre vision du monde qui est centrée sur l’Occident, qui est centrée sur les évolutions du dernier siècle et on a du mal à se projeter vers le futur, à imaginer que demain le centre financier de la planète, cela ne sera plus New York, cela sera Shanghai, que demain l’essentiel de la production manufacturière se fera en Inde et peut-être en Afrique. Donc ces grands changements systémiques, et même au niveau des valeurs, on en parlera peut-être, mais il y a une véritable redéfinition du monde et je crois qu’aujourd’hui il faut vraiment le réaliser pour retrouver sa place comme le disait François dans ce monde et pour être sûr de garder sa compétitivité, voire d’accroître sa compétitivité parce qu’on a des choses à apporter aussi au monde, mais aujourd’hui il faut vivre avec les autres, il faut apprendre à partager ce monde et apprendre effectivement à voir ce que les uns et les autres peuvent gagner de ces échanges.
Web TV www.labourseetlavie.com : Xavier Fontanet, cette mondialisation, vous l’avez vécue bien entendu à la tête d’Essilor, elle a été rapide et Essilor ne pouvait pas la rater, c’était une question on pourrait dire une question de vie ou de mort pour l’entreprise si elle avait raté cette internationalisation ?
Xavier Fontanet : Cela ne s’est pas passé comme ça c’est-à-dire que les Essiloriens, depuis qu’ils sont nés sont des gens qui sont à la conquête. Le verre ophtalmique c’est un produit qui est assez cher et qui circule très bien, donc depuis déjà 40 ans, l’affaire était mondialisée. Donc cela a beaucoup accéléré depuis 20 ans mais cela a toujours été très axé, cela a été très très mondial. Et en fait cette période vous voyez on la vit assez bien. Vous évoquiez le 4,5 % de croissance du monde, je crois que le monde n’a jamais crû aussi vite depuis qu’il existe, le monde économique, et en fait cela fait, nous, 40 ans que l’on a conquis. Moi je me rappelle des premiers investissements en Chine , ils datent d’il y a 20 ans c’est-à-dire à l’époque où personne n’était là, on était parmi les premiers à monter des usines, à faire des premières joint-ventures et comme depuis 20 ans cela a poussé beaucoup, aujourd’hui on a pratiquement notre chiffre d’affaire qui est proportionnel au PIB mondial. La France c’est à peu près 5 % des volumes et donc on a la chance, comme on a préparé cela depuis très très longtemps, de bien vivre la période. Alors c’est très difficile quand beaucoup de gens souffrent de dire que l’on vit bien, mais il faut aussi dire il y a des très trucs qui tournent parce que si l’on ne parle pas que de ce qui ne va pas, on détraque les gens et je crois qu’en fait l’économie tourne assez bien. Je trouve d’ailleurs qu’avec tous les dégâts médiatiques, le fait que cela continue à tourner, cela montre que c’est beaucoup plus costaud que l’on croit mais c’est une expérience fantastique. Je peux dire que pour la maison Essilor, avoir eu la chance de pouvoir rentrer aux États-Unis il y a une vingtaine d’années, pouvoir attaquer l’Asie il y a quinze ans, et puis vraiment pousser très très fort en Chine, en Inde, et puis au Brésil depuis cinq ans, on a des taux de croissance de 25 % dans tous ces pays.
Web TV www.labourseetlavie.com : Ça a été des paris quand même importants parce qu’on se souvient par exemple des États-Unis où les marchés à l’époque puisqu’Essilor est coté en Bourse …
Xavier Fontanet : Il est vrai que les marchés ont toujours la frousse et que il y avait beaucoup de gens qui pensaient la vocation d’Essilor c’est d’être européen, multi-produits, donc avec des verres, des montures, et nous on avait toujours la conviction qu’il fallait être monoproduit et totalement mondial. C’est vrai que quand en 1995 on a mis de très grosses sommes aux États-Unis, le marché même des Américains ont eu peur et heureusement les actionnaires salariés d’Essilor n’ont pas eu peur, c’était les plus courageux dans toute cette affaire et donc ils en ont bien bénéficié d’ailleurs. Mais effectivement il a fallu attaquer les États-Unis et une fois que l’on a réussi à être fort aux États-Unis et en Europe, à ce moment-là on a pu débouler sur le Japon, la Corée, et puis après cela, on est parti vraiment très fort sur Chine et Inde. Mais en Chine et Inde on avait les premières petites graines, les usines on les avait semées déjà dans les années 1990 et on avait déjà des usines qu’on appelle délocalisées – mais chez nous on appelle cela relocalisées – en Thaïlande et aux Philippines déjà il y a trente ans. Et ces usines déjà avaient commencé à faire des petits réseaux commerciaux.
Donc en fait si vous voulez on vit bien cette période parce que cela fait quarante ans ou trente ans que tous les Essiloriens savent que la conquête du monde c’était la nécessité et cela a été pour nous fabuleux. Cela nous a permis d’améliorer les produits, d’améliorer les techniques de gestion.
Web TV www.labourseetlavie.com : En même temps, vous le dites vous-même, délocalisation relocalisation, c’est vrai que cela a été le débat des dernières mois, des dernières années, de se dire finalement on a d’ailleurs un économiste qui est écrit : « la France sans usine », on se souvient de ce qu’avait dit le PDG d’Alcatel …
Xavier Fontanet : On est des industriels alors on y croit beaucoup.
Web TV www.labourseetlavie.com : Comment on a vécu cela ? Parce que délocalisation on n’est pas loin, on ne comprend pas ce qui se passe.
Xavier Fontanet : Il y a 30 ans, c’était mes prédécesseurs. On avait des systèmes qui étaient continentaux c’est-à-dire que les usines européennes sur l’Europe, les usines américaines sur l’Amérique et les usines asiatiques sur l’Asie, et puis on a un concurrent japonais qui a commencé à utiliser les usines asiatiques thaïlandaises pour attaquer l’Europe. Alors comme les salaires étaient à l’époque trente fois plus bas ou vingt fois plus bas, cela faisait des dégâts. Donc Essilor évidemment qui n’est pas près à lâcher le moindre pouce de territoire a monté des usines et alors il y a trente ans mes prédécesseurs m’ont montré les coupures de presse qu’il y avait en disant : « qu’est-ce que c’est que cet Essilor qui fait de l’argent », on délocalisait une usine à Dijon. Heureusement qu’ils y sont allés parce que quand vous faites cette opération, que vous êtes rentables et que vous le faites dix ans en avance, vous avez largement le temps de reconvertir les gens et comme la délocalisation c’est rentable, vous mettez tout l’argent dans la reconversion. Alors ce qui se passe après, c’est que localement vous créez beaucoup de pouvoir d’achat, donc vous faites du bien dans l’usine aux Philippines ou en Thaïlande où on s’est mis et comme on reconvertit les gens, vous faites grimper le pouvoir d’achat en France, en France les effectifs ont monté de 0,5 % par an depuis le début de la maison mais les salaires versés de 6 %. C’est-à-dire qu’on est passé de 80 % d’ouvriers à 35 % d’ouvriers et les enfants de nos ouvriers, la patronne de la CGT, ses enfants sont juristes. Donc en fait on a complètement reconverti et on a créé du pouvoir d’achat. Et je pense que l’un des éléments qui permet à Essilor de bénéficier de cette période, c’est que on a des réseaux commerciaux qui sont partout, on a des centres de recherche, et donc par les royalties on récupère, on bénéficie de la mondialisation mais c’est parce qu’il y a quarante ans il faut penser aux 150 personnes qui ont fait du 500 000 kms par an, les gens qui sont passés avec leurs femmes et leurs enfants, qui ont pris leurs valises, qui ont été s’installer dans des coins perdus, tous ces gens-là ils ont fait un boulot absolument sublime et cela il faut le dire. Et je pense que la France c’est 5 % du PIB, il faut voyager.
© www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés. 30 janvier 2012.
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