Les entreprises et la Mondialisation, 2ème partie dans le Magazine TV "L'Économie en VO".
Avec Xavier Fontanet (administrateur Essilor), Alexandre Kateb (économiste) et François Martin (consultant) : Mondialisation et entreprises : une vraie lame de fond
Magazine TV “L’Économie en VO” : Les entreprises et la mondialisation, 2ème partie, avec Avec Xavier Fontanet (administrateur Essilor), Alexandre Kateb (économiste) et François Martin (consultant).
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela veut dire qu’il vaut mieux l’anticiper, il fallait anticiper ces mouvements-là que de le faire contraint et forcé parce quand aujourd’hui on voit certaines industries, certains secteurs, on parle de secteurs qui ferment, on parle de fonderie, on parle d’un certain nombre de secteurs industriels qui ferment en France, vous dites dans votre livre d’ailleurs qu’il y a des tas des secteurs qui créent mais dont on ne parle pas aujourd’hui, on ne parle que finalement de ceux qui sont en train de fermer, mais l’économie a toujours fonctionné comme cela ?
Xavier Fontanet : C’est Schumpeter, c’est toujours de la destruction créatrice. C’est comme en gros globalement cela montait comme vous le disiez à 5 %, si quelque chose descend, c’est que quelque chose monte mais ce qui se passe c’est que quand un produit descend, il est en bout de cycle de vie, il est concentré, donc ce sont des grosses usines, c’est visible. Tout ce qui démarre est substitut, ce sont des toutes petites sociétés que vous ne voyez pas, elles sont partout. Et donc ce qui est très mauvais en communication c’est que l’on insiste que sur ce qui marche parce que c’est facile à voir alors que tout ce qui descend. Alors que ce qui monte c’est très difficile et à capturer, on ne peut pas le montrer. Donc vous montrez constamment des histoires de ce qui descend et cela fout le moral à zéro. Alors qu’il faut aller chercher ce qui monte, ce qui est plus difficile, iol faut aller trouver les petites pousses qui montent et ils sont partout en fait. C’est très très bien que vous fassiez ces émissions parce que l’on peut expliquer tout cela.
François Martin : Ce qui est aussi important c’est de faire de la délocalisation préparée, organisée et planifiée et non pas de la délocalisation de détresse. Tout ce que vous dites sur la reformation des personnels, etc., en général on ne le dit pas parce que l’on insiste surtout sur les délocalisations de détresse où on ferme en catastrophe. On transforme le problème en un problème public.
Xavier Fontanet : Et on ne parle jamais des délocalisations préparées parce que comme cela marche ce n’est pas intéressant et donc on n’en parle pas, mais après ce qu’il faut c’est une grande confiance avec les syndicats c’est-à-dire qu’il faut bien expliquer. Nous on remercie beaucoup nos syndicats parce qu’ils nous font confiance c’est-à-dire que quand on leur dit à l’avance telle usine on va la fermer en cinq ans, on peut travailler ensemble, ils ne prennent pas peur lorsqu’ils ont confiance en nous et on leur parle parce qu’on a confiance en eux. Donc je pense que la confiance c’est la clé et surtout cela fait monter tout le monde c’est-à-dire que vous faites grimper les gens. Donc c’est bon pour tout le monde si vous voulez.
Web TV www.labourseetlavie.com : Un point particulier pour Essilor qu’il faut signaler, Essilor ne serait pas Essilor sans cela, c’est l’actionnariat salarié depuis longtemps puisqu’à la création d’Essilor, c’était une coopérative d’un côté, une entreprise de l’autre, ce que l’on a oublié aujourd’hui, Essilor c’est un groupe mondial, cet actionnariat salarié qui d’ailleurs, votre successeur dit : « on était autour de 15, on va essayer d’aller à 20 », cela change la donne ?
Xavier Fontanet : Cela change tout. Je pense qu’à mon avis cela change beaucoup parce que les salariés sont, l’entreprise est à eux, ils sont 15 ou 20 % si vous voulez, mais déjà c’est le plus gros actionnaire, c’est l’actionnaire qui dure le plus longtemps, donc qui a une légitimité même si il n’a pas 50. Je considère que quelqu’un qui a 20 ans depuis 40 ans c’est plus légitime que quelqu’un qui a 51 pendant 10 secondes. Donc cela donne une grande légitimité. Ils sont associés aux prises de décision, donc ils ont déjà en conseil, donc ils ont du très long terme. Et pour le management moi-même et Sagnières, mon successeur, on est responsable devant nos employés de l’argent qu’ils ont mis à risque, donc cela change complètement le rapport que le « patron » qui est un mot que l’on n’aime pas chez Essilor parce qu’on est de primum inter pares et on est responsable de l’argent des employés qui sont des collaborateurs et cela change tout. Et après on se rend compte que les gens sont très culottés. On se rend compte que les salariés, l’image dit l’actionnariat salarié c’est mauvais parce que les gens vont se protéger en utilisant le conseil, eh bien c’est exactement l’inverse. Quand on a pris des trucs extrêmement culottés, ceux qui y allaient, c’était les salariés, beaucoup plus que le stock market. Et donc voilà, je pense que l’actionnariat salarié c’est à mon avis une des réponses à la crise actuelle c’est-à-dire que personne ne saura dans des pays développés si la valeur ajoutée va aller du côté du salarié ou du capital. Personne ne le sait. Ceux qui disent que cela va aller d’un côté ou de l’autre sont des escrocs intellectuels. La meilleure façon c’est de mettre les salariés au capital, comme cela où qu’aille la valeur ajoutée, de toute façon ils en bénéficient.
Web TV www.labourseetlavie.com : Il faut quand même que les dirigeants réussissent, on peut citer un certains nombres d’entreprises …
Xavier Fontanet : Il ne faut pas se tromper
Web TV www.labourseetlavie.com : Où il y en a deux, plutôt du côté d’internet et des technologies, mais deux entreprises qui effectivement ont connu la bulle Internet et ont connu surtout des aventures pour les actionnaires où les salariés ont presque tout perdu.
Xavier Fontanet : Là, il faut une bonne gouvernance, il ne faut pas nier le risque. Vous l’évoquiez, c’est sans peur, mais on disait que c’est sans peur mais pas sans risque, mais la justification du profit, c’est la prise de risque. Si les gens ne veulent pas prendre de risques, à ce moment-là très bien, mais qu’on ne participe pas au profit. Si on veut participer au profit, on prend un risque. Il y a quand même toujours, il faut accepter, la concurrence c’est ça crée le risque, c’est la liberté. Alors on choisit d’être dans un pays de liberté ou dans un pays dans lequel il n’y a pas de liberté, moi j’ai vu un peu les deux avec Essilor, je préfère le petit stress du risque parce que je trouve que les personnalités se développent dans la liberté et la prise de risque. Mais cela veut dire aussi qu’il faut être intelligent, il ne faut pas faire de bêtises.
Alexandre Kateb : C’est un modèle intéressant, le modèle d’Essilor, parce que c’est une grande entreprise mais qui a su garder cette espèce d’esprit entrepreneurial finalement, ce goût du risque, et je pense que c’est cette combinaison entre le risque et la stabilité que peut offrir une grande structure avec ce modèle participatif qui fait finalement la force de ces entreprises et on retrouve cela aujourd’hui dans les BRICS puisque on a de plus en plus un modèle de capitalisme, alors soit un modèle de capitalisme familial avec des grands noyaux durs familiaux qui contrôlent ces groupes diversifiés en associant d’une manière ou d’une autre aussi les salariés, soit des groupes qui sont privés-publics où l’État joue un rôle important et finalement joue son rôle de stratège et d’accompagnateur à long terme, mais c’est vraiment cette combinaison entre la prise de risque d’un côté et la projection dans l’avenir que peut offrir la présence d’un noyau dur ou d’un actionnaire stable qui fait à mon avis le meilleur modèle à long terme.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous dites cette confrontation, comment vous la voyez vous Alexandre cette confrontation des grandes entreprises internationales et les grandes entreprises aussi qui se développent dans ces pays émergents, quand on voit aujourd’hui on a des entreprises qui sont équivalentes en termes d’hommes, en termes de savoir-faire finalement ?
Alexandre Kateb : Tout à fait. Je pense que on a longtemps vu ces pays comme des pays de production low cost que ce soit pour l’industrie ou pour les services et aujourd’hui les entreprises de ces pays émergent, conquièrent des parts de marché dans leur propre pays déjà, aussi sur le plan régional. Ce que l’on observe en Amérique latine par exemple avec le phénomène des global latinas, ces entreprises du Brésil ou d’Argentine qui prennent des parts sur tous le marché latino-américain et qui évincent d’ailleurs les entreprises européennes ou américaines. Et de plus en plus, ces entreprises qui ont commencé à s’internationaliser dans les pays qui leur ressemblaient, aujourd’hui visent aussi les marchés matures dont l’Europe et les États-Unis parce qu’elles savent qu’elles y ont des choses à gagner et à prendre, et donc cela c’est effectivement une tendance de fond que l’on observe aujourd’hui.
François Martin : Je vais aller tout à fait dans votre sens. J’ai invité récemment dans le cadre du groupement HEC que je préside le Ministre des Finances de Tunisie qui est venu présenter le plan Jasmin et il nous a dit en substance : « Votre souci et notre objectif c’est de changer notre industrie et notre économie qui est une économie de transformation où si on achète des jeans à 8, on met 2 et on les revend à 10, on gagne peu, en une économie de la connaissance et de l’innovation, c’est tout notre enjeu. » Alors si nous qui avons défini en 2000 le fait que l’on voulait vivre dans une économie, qu’on voulait construire une économie de la connaissance, on ne met pas en face l’innovation et les conditions humaines pour créer de l’innovation parce que on oublie de dire que la technologie et l’humain cela va ensemble. Quand les gens on leur sert, ils n’ont pas envie de créer. Si on leur dit : « Vous partagez le risque » il faut qu’ils soient rémunérés comme tel. Alors, si on ne généralise pas cela, le problème qui va se passer, c’est que ces pays qui sont encore dans l’industrie de la transformation, eux-mêmes, ils vont sauter le pas où nous pouvons encore aujourd’hui être leaders plus vite que nous.
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela c’est intéressant parce que cette partie-là, bien sûr on pense aux printemps arabes, à tous les changements qui sont arrivés, cela va pouvoir amener des changements sur ces pays-là qui effectivement vont peut-être changer de modèle comme le dit François Martin ?
Alexandre Kateb : C’est vraiment une lame de fond aujourd’hui qui traverse tous ces pays avec quand même des défis qui sont importants. Il ne faut pas cacher les risques et les défis auxquels ces pays devront faire face dans cette phase de transformation assez considérable sur le plan démographique, sur le plan social, sur le plan financier aussi parce que un certain nombre de pays émergents ne maîtrisent pas leurs finances contrairement à la Chine et à l’Inde par exemple qui ont fait le choix d’une ouverture très graduelle, très contrôlée dans ce domaine ont maintenant un contrôle public très fort sur le secteur bancaire et financier mais effectivement il y a d’autres pays où c’est moins le cas et où la dépendance vis-à-vis de l’étranger reste encore assez forte. Néanmoins effectivement c’est une transformation de fond que l’on voit à tous les niveaux avec l’émergence d’une innovation de plus en plus importante. En Chine vous avez la part du PIB consacrée à la R & D qui a triplé en l’espace de quelques années et en montants aussi c’est quelque chose d’assez considérable. Donc on voit qu’il y a effectivement ce phénomène dans ces grands pays émergents de parier sur l’innovation, de parier sur l’entreprenariat qui est vraiment la grande tendance mais je crois qu’il n’y a plus aujourd’hui de leadership incontesté dans aucun secteur, c’est vraiment une compétition mondiale au sens …
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela veut dire que nos problèmes de la zone euro du moment, nos problèmes du moment, les pays émergents ont aussi leurs propres problèmes en ce moment de trouver leurs bons modèles ?
Xavier Fontanet : Il faut les comprendre. Mais je voulais rebondir, je suis tout à fait d’accord sur l’analyse qui est faite en disant que dans les pays émergents, mettons en Chine et Inde, on voit émerger un capitalisme familial. Nous, dans notre métier qui est un petit métier, on voit le capitalisme familial, alors cela a beaucoup changé Essilor parce que Essilor était jusqu’en 1995 assez occidental, Europe et Amérique, et en découvrant l’Asie, on a découvert en fait le concept de la famille c’est-à-dire maintenant je parle de la grande famille Essilor parce qu’au fond le capitalisme asiatique est très différent et donc on a fait en fait toutes ces grandes sociétés indiennes et chinoises, on s’est allié avec elles, on a fait des joint-ventures, on a fait des 50-50 qui sont extraordinaires et donc en fait, je suis tout à fait d’accord avec vous, il va y avoir une nouvelle concurrence. Mais alors pour des gens comme nous, si vous voulez, la concurrence c’est bon parce que la concurrence c’est quelque chose qui vous fait grandir. C’est exactement comme Federer qui est ravi de voir Nadal arriver parce que ce qui va se passer, cela va faire grandir les deux et en fait cela va rendre l’industrie encore plus intéressante qui va grandir. Donc je pense que tout cela, si on a un esprit positif et que l’on est au contact, on est ravi de voir des beaux joueurs parce que les beaux joueurs qui rentrent sur le terrain de jeu, ce sont des choses qui font grandir le marché.
Web TV www.labourseetlavie.com : La concurrence en général fait peur.
Xavier Fontanet : Et je crois que, oui elle fait peur, mais quand vous êtes habitués … Moi j’adore la comparaison de tennis de Federer parce que Federer c’était un gars qui était doué, qui était un gars de Bâle, il aurait pu très très bien être le champion de Bâle en restant à Bâle. Il a un jour décidé de se cogner contre Pete Sempras aux États-Unis. La première fois il s’est pris des beignes épouvantables, la troisième fois il l’a battu. Et c’est grâce à cela qu’il est devenu. C’est exactement le mécanisme de la mondialisation c’est-à-dire que quand vous commencez à jouer sur un autre terrain, bien sûr vous prenez des claques au départ mais vous découvrez des nouveautés avec des nouveaux problèmes, vous faites des nouveaux produits, vous découvrez des nouveaux terrains, des nouvelles surfaces, vous trouvez un nouveau jeu, vous avez de nouveaux concurrents et c’est cela qu’il faut, et moi le message – c’est pour cela que je l’ai écrit -, c’est que la mondialisation, il faut plonger, il faut voyager, il faut s’expatrier mais c’est absolument fantastique. C’est vraiment une renaissance pour la maison et on se rend compte aussi que c’est bien pour les pays en voie de développement parce que c’est cela qui tire les gens de la pauvreté. Moi j’ai vu la Chine en vingt ans, au début je faisais quatre ou cinq voyages par an, même plus que cela, pour monter les usines et des réseaux commerciaux. Ce que l’on a vu, ce qui s’est passé en Chine, et maintenant dans certains coins d’Inde, je regrette que les Français ne l’aient pas vu parce que ce sont des changements absolument ahurissants et on voit que c’est du bien. Alors il reste bien sûr des poches de malheurs et des horreurs mais il y a aussi des trucs qui sont transformés, si vous voulez. Donc globalement la mondialisation c’est bien, il ne faut pas avoir peur, simplement il faut plonger. Je crois que l’on ne peut pas se dire «je vais bénéficier en restant avec son petit week-end, ses petites 35 heures, ses petits avantages acquis, alors là c’est très très grave. Mais si par contre on dit : « tout cela, je le lâche » parce qu’au fond un client cela n’est jamais acquis, donc je ne peux pas avoir un avantage acquis, mais j’ai confiance en moi et je plonge dans le grand bain. Je suis prêt à tout perdre mais je regagne tout, et cela c’est l’esprit qu’il faut prendre. Alors je comprends que ce que je raconte c’est un peu original mais on est beaucoup plus à vivre cela que l’on croit, simplement on n’a pas le micro. Je vous remercie de nous permettre d’exprimer cela un tout petit peu.
François Martin : Par rapport à ce que vous dîtes. Effectivement, vous vous le vivez bien, en plus vous avez un esprit positif, vous vous êtes défoncés. Moi je me promène pendant 35 ans, depuis 35 ans dans les marchés émergents essentiellement, j’ai vu les Maliens, les Brésiliens, les Péruviens, etc., eux c’est l’horreur pour eux aujourd’hui. Ils sont dans la nuit. C’est l’horreur aujourd’hui, c’est formidable, mais nous on est dans la situation – parce que vous repreniez le cas de Fédérer et de Nadal, il y a un type qui s’appelle Federer un jour qui devient un champion et il est champion pendant 10 ans. Et puis un jour, il sort un type, un Espagnol, un petit taureau majorquin, le « machaca », comme on dit en espagnol, il le taille en pièces. Il commence à prendre quelques coups, il tombe sur les fesses et il commence à ne plus gagner. Et il dit : « mais comment peut-on me battre ? Je suis le champion » et on est exactement dans cette situation. Alors à partir de ce moment-là, il y a deux solutions. Il y a le fait de dire : « allez oublie, tu es un joueur comme les autres, tu es un challenger, vas y, tu gagnes. » ou bien tu te peux dire : « j’ai fait mon temps, j’ai gagné mon argent, je vis sur mes lauriers et je vais m’installer chez moi, etc. ». On est exactement dans cette situation. Je dirais que, en plus de ce que vous dites, je pense que vous vous ne l’avez pas parce que vous êtes une société qui gagne mais en général je pense qu’il y a un problème d’ego dans l’Occident parce que on sort d’une période postcoloniale, il y a un problème d’ego. Alors maintenant le choix, il est en nous. C’est ou on y va. Les Chinois ce sont des concurrents comme les autres, est-ce que l’on n’y va ? Ou bien c’est : Comment les Chinois peuvent-ils venir nous … – si c’est cela dans 30 ans il restera les bistrots si il y en a encore, etc. etc. Donc je pense que le problème est psychologique. On ne le dit pas assez puisque c’est dans la tête que ce fait le combat et il se fait en ce moment.
© www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés. 30 janvier 2012.
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