Xavier Lépine Président du Directoire La Française : "la technologie implique une nouvelle organisation de l'économie".
Les marchés financiers évoluent dans leur composante taux et allocation d'actifs
Rencontres Paris Europlace 2014.
A cette occasion la Web Tv a interviewé des personnalités qui intervenaient lors de tables-rondes.
Xavier Lépine Président du Directoire La Française nous dit que « la technologie implique une nouvelle organisation de l’économie », le système capitaliste est en train de changer.
Cela interroge les marchés financiers dans leur composante taux et allocation d’actifs.
Web TV www.labourseetlavie.com : Xavier Lepine, bonjour. Vous êtes président du directoire de La Française. On va parler avec vous de gestion d’actifs, bien sûr de perspectives. Vous avez toujours tendance à regarder les marchés, à de temps en temps prendre du recul sur ces marchés, vous dites finalement, non pas que la crise est terminée, mais qu’il y a une nouvelle donne après cette crise. On en est où justement quand on regarde bien la situation ?
Xavier Lepine, Président du Directoire de La Française : Cette nouvelle donne, elle est principalement due finalement aux évolutions technologiques c’est-à-dire que pour moi on a eu une accélération de la technologie, ce qui a impliqué une organisation différente de l’économie, liée à la globalisation, mais vraiment la technologie change beaucoup de choses. J’ai un exemple très simple. La notion même de PIB est en train de changer. Je veux dire, quand on fabriquait, je ne sais pas, un dictionnaire ou une encyclopédie du type Universalis, elle était produite sur du papier, elle coûtait un certain prix, on la vendait à un autre, on la mettait dans sa bibliothèque et on ne s’en servait plus, mais elle rentrait dans le PIB. Aujourd’hui, Wikipédia, c’est gratuit, on s’en sert tous les jours et ce n’est pas comptabilisé. Et ça, c’est un exemple tout bête mais qui illustre quand même les changements profonds qui sont en train d’avoir lieu et qui n’ont rien à voir avec la crise, mais heureusement on est en train de se sortir de la crise par ces changements, par ce type de changements, ce qui fait que l’inflation que l’on pouvait craindre après toute cette création monétaire qu’il y a eu post-crise, moi j’ai le sentiment qu’elle est définitivement éradiquée du système capitaliste et que le système capitaliste est en train de revenir à sa base c’est-à-dire de produire plus pour moins cher, ce qui en théorie bénéficie aussi bien au capital aux salariés. Donc la question qui se pose effectivement d’un point de vue sociétal, c’est que l’on a moins besoin de salariés parce qu’on a de la production et une technologie qui permettent de produire et de diffuser à moindre coût, et à moindre coût en main-d’œuvre, et que l’on a effectivement la globalisation qui fait que cela laisse un certain nombre de salariés sans travail. Donc on a un problème de société à résoudre, mais par contre on a des conditions de fonctionnement économique qui sont résolument différentes, ce qui vient interroger les marchés financiers eux-mêmes dans leurs composantes taux d’intérêt et actions.
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui puisque là on pourrait dire que pour les investisseurs, cela fait quand même, on ne se rend pas compte finalement, mais 30 années de taux bas ou en tout cas de baisse de taux quasiment, on a eu cette période extraordinaire, on a lui effectivement l’action des banques centrales qui est toujours en cours, mais on a rarement connu ce type de période. Donc effectivement vous avez parlé de pas de risque d’inflation, il y a à un moment donné, il y a eu beaucoup de doutes ?
Xavier Lepine, Président du Directoire de La Française : Tout à fait. Pour moi, on vit en ce moment le même type de changement que l’on a pu avoir quand on est passé de l’ère agricole à l’ère industrielle, c’est-à-dire un véritable changement de l’ensemble des forces de production. Aujourd’hui c’est en train de se faire avec l’arrivée de la technologie dans tous les domaines de la vie, cela change aussi le comportement des gens. Les gens sont beaucoup plus dans l’usage que dans la possession et tout cela fait que, même cette création monétaire que l’on a eue, finalement ne débouche pas sur de l’inflation. Cela ne débouche pas, pourquoi ? Parce que les banques centrales stérilisent une partie de la monnaie, parce qu’en fait cette monnaie elle circule partout. On sait très bien, quand il y a eu une grosse injection de monnaie en 2007 et 2008, finalement ce n’est pas en Occident que les prix ont augmenté, ce sont les salaires en Chine qui ont augmenté. Donc on ne peut plus, si vous voulez, fonctionner en économie fermée dans un monde qui fonctionne comme cela aujourd’hui, et ça, c’est radicalement nouveau. Et donc, d’où une interrogation fondamentale de comment gérer et dans quel type de choses investir et comment investir.
Web TV www.labourseetlavie.com : Oui parce qu’on pourrait dire qu’avec cet environnement de taux bas, même si en début d’année, par exemple si on prend l’année 2014, finalement il s’est passé de belles performances sur les marchés obligataires que peu de gens mettaient en avant, il va falloir en sortir quelque part. Donc on se dit qu’à un moment donné tout de même, cela ne va pas se passer forcément. Historiquement on sait que ce n’est jamais très simple, ce n’est pas… ?
Xavier Lepine, Président du Directoire de La Française : La question qui va se poser, c’est… on sait mettre les taux à zéro, on ne sait pas comment sortir des taux à zéro puisque ce sont des phénomènes radicalement nouveaux. Mon opinion est que les taux vont rester durablement bas c’est-à-dire durablement, pendant cinq ans, dix ans, vont rester bas, sauf évidemment si il y a une perte de confiance. Là on n’est plus dans une logique de taux de croissance, taux d’inflation, on serait dans une logique de peur. En dehors de ce phénomène-là, personnellement je pense que l’on va rester très, très longtemps dans cet univers, ce qui fait que le coût du capital n’est pas cher, ce qui fait que les sociétés qui vont bénéficier de cela sont celles qui sont finalement à forte intensité capitalistique. Donc là, il y a une allocation d’actifs qui va bénéficier naturellement à ce type de sociétés. Cela va bénéficier également… les primes de risque obligataire des actifs à risque vont continuer de baisser, pourquoi ? Parce que la liquidité est toujours là, parce que ces primes de risque on va réaliser qu’elles ne se réalisent pas, enfin les risques ne se matérialisent pas. On va réaliser également que aujourd’hui les taux forward c’est-à-dire les taux à cinq ans dans cinq ans, anticipent toujours de l’inflation, or on va constater qu’il n’y aura pas d’inflation, donc il y a encore du potentiel de baisse des taux, et on peut très bien rester comme au Japon avec des taux proches de 1 % pendant très, très longtemps.
Web TV www.labourseetlavie.com : Cela posera la question de la croissance, forcément de la croissance économique. Quand on parlait de l’Europe, on se disait « attention, à un moment donné, on est plutôt sur la déflation, il y a un risque de déflation », et potentiellement si l’Europe se trouve dans des situations à la japonaise, cela veut dire que la croissance on ne la reverra pas avant de nombreuses années ?
Xavier Lepine, Président du Directoire de La Française : La forme traditionnelle de la croissance, probablement pas. Je veux dire, de toute façon, si on veut le faire très schématiquement, 5 % de croissance dans le monde pendant plusieurs années de suite, on ne va pas… la planète ne va pas le supporter, je veux dire, dans le sens écologique du terme, environnemental du terme. Donc la bonne nouvelle, c’est que l’on est en train de créer une autre forme de croissance plutôt basée sur la technologie et l’accès à l’usage plutôt qu’à la propriété, et que l’on consommera peut-être moins de la planète. On voit bien que le Green business, pour reprendre les conséquences de cela, est quelque chose qui se développe très fortement aux États-Unis. L’accès à la connaissance, dans l’économie de la connaissance, ce n’est plus la propriété qui est importante, c’est la connaissance. Une fois de plus, cela veut dire qu’il y a des sociétés qui vont savoir s’adapter à cela, des économies vont savoir s’adapter à cela, et d’autres vont en souffrir. Donc tout le jeu pour nous, et là cela devient très intéressant, c’est d’identifier ces évolutions fondamentales et d’avoir, à partir de ce moment-là, des stratégies d’investissement, que ce soit justement sur les taux, sur le crédit, sur l’actif réel, sur les actions, qui vont tenir compte de ces changements profonds.
Web TV www.labourseetlavie.com : On pourrait dire aussi que cet environnement de taux bas favorise des bulles. Il y en a qui disent qu’il y en a eu en France par exemple sur l’immobilier, il y en a dans différents secteurs, pas facile d’éviter les bulles. On sait que l’on ne peut pas jouer, comme on dit, on ne peut pas se battre contre les réserves, les banquiers centraux ?
Xavier Lepine, Président du Directoire de La Française : Les bulles, c’est inhérent à l’activité humaine. On va tous aller suivre le même objet à un moment donné. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui… une bulle pose le problème du risque rendement. Or aujourd’hui les rendements sont objectivement très faibles, et à partir de là… autrement dit, quand on avait des taux d’intérêts élevés, si vous aviez une hausse de 100 points de base des taux et que les taux étaient à 5 %, vous perdiez de l’argent sur la hausse des taux, mais vous aviez quand même le rendement des 5 %. Quand on est 1 % de rendement, si vous avez 3 % de hausse des taux, vous vous retrouvez à -8. Donc vous n’êtes plus du tout payés pour le risque que vous prenez, et cela, c’est vrai d’à peu près tous les actifs. Et on voit bien d’ailleurs que la régulation, que ce soit Solvancy II, Bâle III, pousse les investisseurs à tenir compte de ce phénomène. La réponse que doivent avoir les asset managers, c’est ce que l’on appelle tous des solutions d’investissement c’est-à-dire de dire on va utiliser, mettons pour les actifs financiers, des systèmes d’option pour se protéger des risques que l’on ne veut pas prendre. On va utiliser le financement de l’économie réelle pour ne pas être dans des actifs de marché, mais financer plutôt sous forme de prêts à l’immobilier ou sous forme de prêts aux entreprises où seul le risque de défaut est important, mais pas le risque de marché. Autrement dit, on va trouver des réponses assez différentes de celles qui existaient sur les 30 dernières années et tout l’enjeu des investisseurs va être de savoir s’y mettre, et comment s’y mettre ? Comment s’y mettre dans un cadre réglementaire qui est assez mouvant et pour nous les asset managers de savoir comment est-ce que l’on va structurer notre offre par rapport à ces évolutions ? Donc il y a un énorme chemin à faire dans les années qui viennent qui va être passionnant.
Web TV www.labourseetlavie.com : On suivra cela. Merci Xavier Lépine d’avoir été avec nous.
Xavier Lepine, Président du Directoire de La Française : Merci.
© www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés. 18 juillet 2014.
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