Economie : Interview de Jean-Michel Steg Senior Advisor Greenhill.
Regard sur l'actualité économique et financière : On vit actuellement un "credit crunch pour les PME"
Nous avions interrogé Jean-Michel Steg en 2011, il était alors chez BlakcRock en France, pour développer ses relations avec de grands groupes européens, en particulier français.
Désormais chez Greenhill, il nous donne sa vision de l’économie notamment européenne et des conséquences pour l’investissement.
Jean-Michel Steg est Senior Advisor chez Greenhill.
Selon lui, “le discours économique du Gouvernement doit être clarifié”.
On vit actuellement un “credit crunch pour les PME”.
L’interview complète :
Web TV www.labourseetlavie.com : Jean-Michel Steg, bonjour. Vous êtes Senior Advisor chez Greenhill, on va parler avec vous de l’actualité économique et puis de perspectives. On s’était vu il y a deux ans dans un contexte peut-être différent, mais enfin on peut quand même signaler que nous sommes toujours en crise, alors peut-être une crise différente entre ce qui se passe aux États-Unis et l’Europe, comment vous voyez aujourd’hui la situation ? Est-ce qu’il y a quand même eu des améliorations ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Des améliorations, il y en a eu aux États-Unis. On l’a vu à l’évidence avec une reprise de l’activité économique en termes de croissance, même si cette croissance ne génère pas autant d’emplois que elle l’eut fait au cours des cycles précédents, ils sont tout de même en période de croissance économique et d’augmentation de l’emploi. En France, en dehors du débat politique qu’il y a actuellement sur les chiffres exacts de l’activité économique et déficits on voit bien que l’on est aux alentours de 0, 0 un peu plus, 0 un peu moins, et que la situation ne se présente pas trop bien pour les mois qui viennent, à l’évidence.
Web TV www.labourseetlavie.com : On a l’impression qu’en Europe il n’y a que l’Allemagne qui pour l’instant tient encore la corde ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Oui, les pays scandinaves, la Hollande ne se débrouillent pas mal non plus, les pays du Nord.
Web TV www.labourseetlavie.com : Pays du Nord, les pays du Sud, et la France entre les deux ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Et la France entre les deux avec un petit décrochage tout de même par rapport à ce que la situation pouvait être il y a 18 mois, où elle se rapproche malheureusement des perspectives des pays du Sud.
Web TV www.labourseetlavie.com : De votre point de vue, l’analyse c’est lié à quoi ? C’est lié au plan de rigueur ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Écoutez, je prendrais plutôt moi une optique inverse de l’approche très étroitement, là encore, politique, je pense qu’il y a quatre séries de facteurs dont beaucoup n’ont rien à voir avec le gouvernement actuel. Il y a une crise économique et financière globale qui aurait frappé n’importe quel gouvernement, qui a d’ailleurs frappé le gouvernement Sarkozy, c’était le quinquennat de Sarkozy dès son début. Il y a une crise aussi qui est spécifiquement française qui est la difficulté de la société française à s’adapter à la mondialisation, qui prend quelque chose qui est lourd et là encore trans-courants politiques. Il y a le fait qu’un certain nombre de mesures ont été prises dans la préparation de la campagne électorale par le précédent gouvernement qui, à mon avis, ont été un peu contre-productives déjà, qui ont orienté vers une forme de rigueur et une forme de tour de vis fiscale intempestif l’économie française et c’est vrai que je pense que les mesures prises par le gouvernement actuel n’ont pas aidé la conjoncture. Donc il y a quatre facteurs, si j’ose dire, du plus large, du plus macro au plus spécifiquement politique français, qui se combinent aujourd’hui.
Web TV www.labourseetlavie.com : On pourrait dire que cela va mieux aux États-Unis, mais on voit encore des chiffres récents sur le PIB, il y a encore, encore du chemin avant que cela revienne, est-ce qu’il y a une vraie différence c’est-à-dire quand vous regardez ce qui se passe concrètement sur ces marchés ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Oui, il y a deux grandes différences aux États-Unis. Je ne voudrais pas du tout dire que les États-Unis sont une société exempte de problèmes. Ils ont un problème politique, de paralysie politique qui est tout de même très frappant, ils ont un problème structurel de coût de la santé qui est quelque chose de matériel dans la société américaine au jour d’aujourd’hui. Par contre ils ont deux avantages ou trois avantages que nous n’avons pas. Le premier c’est qu’ils ont un coût de l’énergie qui est actuellement très bas, et donc ça c’est important. Deuxièmement ils ont un système bancaire qui, soutenu par le gouvernement très tôt, massivement, finalement se porte plutôt mieux que ses contreparties européennes. Et troisièmement c’est une société qui a tout de même plus de souplesse interne, notamment au niveau des déplacements des gens qui vont là où il y a du travail et qui quittent les endroits où il n’y en a pas, qui est un facteur d’ajustement rapide à la crise que n’ont pas les économies européennes, même si on commence à voir effectivement beaucoup d’ingénieurs italiens, espagnols, qui vont travailler en Allemagne, etc., on est en train de s’y faire, mais ils ont de ce point de vue-là, de ces trois points de vue-là, les Américains ont un avantage sur nous.
Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, dans vos activités, vous suivez aussi ce qui se passe bien entendu du côté des opérations de rachat, de fusions-acquisitions, MBO et autres, on a senti de ce côté-là, on sait que le cycle joue pour beaucoup, mais on a senti qu’il y avait une meilleure tendance, quel est un peu votre regard ? Est-ce qu’il y a eu plus de prises de risque ou est-ce qu’il y a encore, compte tenu de l’environnement que l’on a rappelé, un peu de prudence ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Il y a énormément de prudence et il y a un problème de financement. Ce qui se passe, par contre c’est vrai qu’il y a un petit peu plus de transactions, on part d’un niveau qui était devenu très, très bas. Je pense qu’il y a beaucoup d’acheteurs financiers qui ont besoin de sortir de leurs investissements, et on voit beaucoup de financiers qui revendent à des financiers, avec peut-être des financements qui sont attachés, mais c’est un élément d’activité, de fluidité du marché. Par contre, le marché du financement des acquisitions reste un marché compliqué parce que les banques françaises n’ont pas de nouvelles disponibilités de financements énormes actuellement, c’est une situation relativement tendue.
Web TV www.labourseetlavie.com : Donc on a finalement les effets que l’on n’avait peut-être pas voulu voir ou bien vu au début quand on parlait des réformes réglementaires, Bâle III notamment…
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Alors, ces réformes qui étaient sans doute nécessaires en termes de transparence des risques, etc., d’allocations de capital plus importantes à un type de risques donnés ont pour effet au jour d’aujourd’hui d’assécher un petit peu la capacité des banques à prêter à partir de leurs bilans existants, sachant qu’en plus, avec la crise économique qui est la récession, il y a un facteur endogène qui n’est pas du tout importé de dégradation…, qui n’est pas lié à l’immobilier américain, qui n’est pas lié aux dettes grecques, qui est lié au fait que la qualité du book de prêts aux PME françaises qui n’est pas en train de s’améliorer, à l’évidence.
Web TV www.labourseetlavie.com : Vous pensez vous qu’il peut y avoir un credit crunch pour les banques françaises à un moment donné, pardon aux PME françaises bien sûr ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Je pense que l’on en vit…, jusqu’à un certain degré on le vit actuellement.
Web TV www.labourseetlavie.com : Et il n’y a pas d’alternative c’est-à-dire aujourd’hui, tel qu’est construit ce système de financement des PME, cela passe d’abord par les banques ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Le système français traditionnellement était un système en banques par rapport à un système américain qui est plutôt marché, mais on ne crée pas un marché du financement des PME comme cela, il faut l’habitude de noter leurs dettes, il faut qu’il y ait les éléments comptables pour le faire, il faut qu’il y ait des investisseurs qui soient confortables avec cette analyse financière spécifique, il faut qu’il y ait des gens qui soient prêts à prêter de l’argent pour cela en ayant le sentiment que le rapport risque-rendement est un rapport confortable. Au jour d’aujourd’hui, les gens sont terrorisés et ils sont toujours à la recherche du Graal c’est-à-dire un emprunt garanti d’État qui rapporte beaucoup.
Web TV www.labourseetlavie.com : Le PEA PME, c’est vrai que cela fait partie des éléments dont on va parler dans les prochains mois, alors c’est un outil bien sûr, mais vous pensez que cela peut aider, cela peut inciter les investisseurs ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Écoutez, tout ce qui est ciblé sur ce type de produits peut aider à la marge. Maintenant je pense que pour changer l’état d’esprit des investisseurs d’une part, et pour changer les disponibilités des bilans bancaires d’autre part, il va falloir des mesures de fond, de réformes structurelles de l’économie française, dont je pense qu’elles deviennent, elles ont toujours été nécessaires, mais qu’elles deviennent urgentes.
Web TV www.labourseetlavie.com : Et pour les patrons de PME, cela veut dire aller trouver l’argent où ? S’ils peuvent le trouver en dehors de France pour se financer ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Cela commence à se faire de plus en plus effectivement et d’ailleurs il y a des investisseurs étrangers heureusement qui viennent chercher, des pays excédentairement en capital, mais enfin il va falloir accepter la transparence et offrir que le Gouvernement veille à ce que les gens qui investissent en France de l’étranger se voient offrir un cadre juridique et fiscal stable et attrayant, et ces temps-ci il n’est pas si stable que cela, et du coup il est moins attrayant déjà.
Web TV www.labourseetlavie.com : C’est-à-dire que vous rencontrez des investisseurs étrangers qui peut-être ont les fonds en tout cas, auraient peut-être les fonds, mais qui sont attentistes ?
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Pour investir en France…, j’ai passé ma vie, si j’ose dire, dans le monde financier, principalement dans les relations anglo-saxonnes, à expliquer pourquoi il était intéressant d’investir en France, que l’on avait des ressources exceptionnelles par rapport, même si on ne parlait pas anglais, à offrir aux investisseurs, et je pense que cela reste vrai dans une grande mesure, mais il y a des facteurs négatifs aujourd’hui, politiques, d’instabilité, d’une certaine volatilité gouvernementale dans leur attitude qui est difficile à expliquer, qui est très difficile à expliquer aux investisseurs.
Web TV www.labourseetlavie.com : Il faudra d’abord clarifier le discours PME en quelque sorte.
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Il faudra clarifier, je dirais même plus généralement, le discours économique du gouvernement. Est-ce que c’est un discours social libéral ou social étatiste ou pas ? Après tout, toutes les positions sont intellectuellement compréhensibles, mais ce qu’il faut savoir c’est où sommes-nous ?
Web TV www.labourseetlavie.com : On verra cela, on verra si vous êtes effectivement…, si cela se clarifie dans les prochains mois, on le souhaite pour les PME en tout cas, et pour les entreprises et pour l’économie française. Jean-Michel Steg merci d’avoir été avec nous. On rappelle que vous êtes donc Senior Advisor chez Greenhill.
Jean-Michel Steg, Président de Greenhill : Ravi d’être à vos côtés toujours. Merci
©www.labourseetlavie.com. Tous droits réservés. 30 juin 2013
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