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Interview de Stéphanie Gibaud lanceuse d'alerte : "Le premier à ne pas respecter les lois, c'est l'État".
Le 8 octobre 2018, la banque suisse UBS va se retrouver devant la Justice en France, une première mondiale

26 septembre 2018 20 h 37 min
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INTERVIEW EXCLUSIVE STÉPHANIE GIBAUD

Ancienne responsable marketing d’UBS en France

Le 8 octobre 2018, la banque suisse UBS va se retrouver devant la Justice en France au Tribunal Correctionnel de Paris, une première mondiale pour cette banque qui jusqu’alors avait toujours trouvé des moyens d’éviter d’en arriver là, en négociant.

Il y a plus de dix ans, en juin 2008, Stéphanie Gibaud, ancienne responsable marketing d’UBS en France, refuse de détruire des fichiers de son ordinateur, comme lui demande sa hiérarchie. Le bureau du directeur Général d’UBS vient d’être perquisitionné, et l’on exige d’elle qu’elle efface de son disque dur tous les fichiers contenant les noms des clients et de leurs chargés d’affaires. Stéphanie Gibaud refuse. Le harcèlement dont elle sera victime à partir de ce moment-là ne cessera pas, téléphone placé sur écoutes, ordinateur piraté, menaces,…tout est fait pour la détruire. Elle est désormais un « témoin gênant ».

Le procès qui débutera le 8 octobre prochain est donc celui d’une banque contre une « lanceuse d’alerte ». Mais depuis 2008, les Français ont largement entendu parler d’évasion fiscale, avec les affaires Cahuzac et Bettencourt, des personnalités qui avaient des comptes en Suisse, chez ? Chez UBS !

Alors que l’on demande depuis 40 ans des efforts aux Français, avec toujours plus d’impôts, ce procès devrait être l’occasion de leur rappeler que l’évasion fiscale, c’est pas loin de 80 milliards d’euros par an, à rapporter à l’Impôt sur le Revenu qui rapporte à l’Etat, 60 milliards par an !

Nous sommes là au coeur du fonctionnement de  notre système politique et économique, c’est pourquoi ce procès n’est pas seulement celui d’une personne harcelée au travail, il nous concerne tous.

C’est pourquoi, j’ai décidé de réaliser cette interview et de donner la parole à une lanceuse d’alerte qui a pris des risques pour que nous, Français, puissions avoir une vision réelle de ce système qui gangrène notre pays depuis très longtemps. Et si vous vous souvenez de l’opération Mains Propres en Italie (Mani Pullite), la France n’a de leçons à donner à personne, nous sommes très mal classés dans ce domaine.

Propos recueillis par Didier TESTOT

Directeur WWW.LABOURSEETLAVIE.COM

Web TV www.labourseetlavie.com : Stéphanie GIBAUD, bonjour.

Stéphanie Gibaud : Bonjour.

Web TV www.labourseetlavie.com : Dans quelques jours, les Français et puis on peut dire le monde entier aujourd’hui, puisque vous n’êtes pas connue qu’en France, mais également dans le monde comme lanceuse d’alerte, c’est vous qui avez, il y a quelques années, révélé effectivement le sujet de l’évasion fiscale d’UBS. Vous étiez responsable marketing chez UBS. On va en parler à nouveau de ces lanceurs d’alerte, de votre métier, mais vous êtes rentrée chez UBS en 1999 et c’est…

Stéphanie Gibaud : Il y a vingt ans.

Web TV www.labourseetlavie.com : Vingt ans. Et en juin 2008, votre supérieur hiérarchique vous demande d’effacer des fichiers. 1999-2018, c’est quand même une période importante de votre vie, comment allez-vous aujourd’hui ?

Stéphanie Gibaud : Écoutez, ces affaires laissent forcément des traces. Forcément, on est très fatigué, puisque la grosse problématique est d’avoir été tellement seule face à des monstres bancaires aussi importants et que la complexité a été au final de ne pas comprendre, il y a dix ans en arrière, que le problème n’était pas qu’UBS. Moi, je pensais très naïvement que justement la justice, les hommes politiques allaient être tous vent debout et puis en fait, le deuxième effet « Kiss Cool », si vous voulez, ça a été de découvrir qu’UBS ne pourrait pas exister et n’a pas pu exister sans avoir des soutiens et des appuis à tous les niveaux. C’est cette connectivité que j’explique justement dans « La traque des lanceurs d’alerte ».

Web TV www.labourseetlavie.com : Avec finalement, quand on regarde justement cet agenda ou ce dossier, ça vient des États-Unis finalement. Ce sont, comme souvent dans ce type de dossier, les États-Unis qui commencent avec effectivement une menace concernant UBS en disant quelque part, il y a presque une menace de perte de la licence bancaire et là ça commence à bouger dans tout le groupe.

Stéphanie Gibaud : Alors voilà, ça, c’est un autre sujet. C’est un sujet dans le sujet, à savoir que justement la force vient toujours des États-Unis parce qu’elle a cette emprise et cette force sur la planète. Mais cela étant, elle défend ses propres intérêts. On l’a vu d’ailleurs avec l’affaire BNP Paribas, les États-Unis sont vraiment capables d’imposer quelque chose aux autres. Et c’est là où c’est aussi insoutenable, à savoir que quelque part, ils sont promoteurs d’une certaine éthique puisqu’effectivement, ce qu’a fait UBS aux États-Unis est aussi vicieux et aussi critiquable que ce qu’a fait UBS en Europe, mais finalement immédiatement, au bout d’un an, c’est terminé. Et puis derrière, ils sont capables d’imposer, et vous le savez aussi bien que moi, des traités comme le traité FATCA où tous les pays sont obligés de déclarer à l’IRS américain les comptes des Américains quel que soit l’endroit où ils vivent sur la planète et en plus, l’échange automatique d’informations qui a été signé par la France avec les États-Unis, je crois que c’était en 2015, a été imposé à tous les pays du monde. Un seul pays ne l’a pas signé, ce sont les États-Unis. Vous voyez, ils sont vraiment capables de se protéger. Ce que nous l’Europe, parce que là on a appris justement que l’Europe n’était absolument pas capable de le faire.

Web TV www.labourseetlavie.com : On l’a vu effectivement dans plusieurs dossiers. Alors « La femme qui en savait trop », c’était le titre de votre premier ouvrage, on va donc retrouver le dossier UBS au tribunal, aujourd’hui, on en est on ? C’est-à-dire est-ce qu’il y a déjà eu des condamnations pour UBS ou est-ce que ce procès va être un procès important ?

Stéphanie Gibaud : Justement, j’ai relu hier un des chapitres de « La traque des lanceurs d’alerte » où j’explique qu’un de mes collègues en Suisse m’avait expliqué, il y a quatre ou cinq ans – c’est très étonnant, mais ça fait partie d’une stratégie justement – c’est que la banque est toujours dans le déni. Rien n’a jamais existé. Et quand elle sent le procès à venir, elle négocie une amende et comme aux États-Unis, ce qui s’appelle un agreement, un accord de confidentialité en négociant une amende étant relativement peu importante.

Le procès en France, c’est une première mondiale : jamais UBS n’est allée au procès. Donc, on va voir comment l’affaire va se dérouler. Le procès, je crois que c’est un petit peu plus d’un mois, c’est du 8 octobre à la mi-novembre.

Mais il est clair que là, ça ouvre la voie pour que les autres pays européens, qui ont subi la même chose, que ce soit l’Espagne, le Portugal, la Grèce, la Belgique, l’Allemagne, on peut tous les citer, puissent suivre l’exemple qu’est donné enfin par la justice française.

Web TV www.labourseetlavie.com : Donc, vous dites effectivement qu’UBS est dans le déni, malgré ce que vous avez pu raconter dans votre livre, malgré effectivement un certain nombre d’éléments. Aujourd’hui, c’est leur stratégie de défense ?

Stéphanie Gibaud : Toujours. La preuve, c’est que je suis attaquée en diffamation sur ce livre « La femme qui en savait vraiment trop » où j’expliquais donc quel avait été mon travail et quelle avait été ma carrière chez UBS et ce qui est arrivé, c’est-à-dire cette fameuse alerte où j’étais salariée aussi protégée puisque j’étais membre du CHSCT, du Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail où j’ai relevé un certain nombre de dysfonctionnements, où j’ai posé des questions qui étaient très gênantes. Donc, ce livre est attaqué en diffamation. Parce qu’UBS est toujours à dire que j’ai inventé une histoire. Sauf que, et c’est là où c’est important de regrouper les pièces d’un puzzle, l’affaire Cahuzac où tout le monde se souvient de notre ministre du Budget qui a menti à l’Assemblée nationale et devant les caméras de télévision, les comptes de Monsieur CAHUZAC, les comptes off-shore, étaient chez UBS à Genève. Les comptes de Madame feu BETTENCOURT, puisque l’histoire est publique aussi, étaient chez UBS à Genève aussi. Donc, vous voyez bien que Stéphanie GIBAUD n’est pas du tout la folle manipulatrice ou en tout cas le portrait complètement délirant que cette banque a pu faire de moi. Donc, que va-t-il se passer justement devant cette justice ? Ce sera intéressant de voir quels sont leurs arguments.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors, on peut dire aussi concernant la justice française qu’on voit que ça prend du temps. Parce que je parlais des dates, il a fallu du temps pour en arriver à ce procès du mois d’octobre.

Stéphanie Gibaud : Dix ans. Dix ans où entre-temps, moi, je suis passée en justice cinq fois. Parce que vous voyez bien qu’aussi la problématique, c’est que ce sont ceux qui mettent le doigt sur les dysfonctionnements qui sont les premiers à être accusés. C’est le monde à l’envers. Oui, justement, la personne honnête qui se trouve à aller justifier de ce qu’elle a dit. Donc enfin, on y arrive, mais on ne fait que nous répétez que la justice manque de moyens, on nous fait répéter un certain nombre d’inepties et c’est là, si vous voulez, la complexité de la chose, parce que l’alerte et ce qu’il y a dans l’alerte, c’est important, mais de voir que finalement, tout cela n’est possible que parce qu’il y a une inertie à la fois du politique et donc du judiciaire.

Web TV www.labourseetlavie.com : Alors aujourd’hui, vous avez ce recul aussi compte tenu de ces dates qu’on évoque. Est-ce que vous diriez, parce que les gens qui peuvent nous écouter, les Français qui nous écoutent et les autres peuvent se dire quand même, vu tout ce qu’elle a fait, parce que ceux effectivement qui ont lu votre livre, ils voient bien ces moments difficiles, ils se disent, mais tout ça, il faut toute cette énergie, il faut toute cette conviction pour essayer, non pas renverser un système, de dévoiler quelque chose qui est effectivement un système qui existe aujourd’hui. Il faut avoir toute cette énergie. Est-ce que ça vaut la peine ? J’imagine que vous avez eu des échos, sinon je préfère ne rien faire.

Stéphanie Gibaud : C’est une force, une détermination, une énergie, parce que ça crée un isolement, ça crée une véritable fracture. C’est-à-dire qu’il y a la vie avant et il y a la vie après. Ce n’est pas le problème de lancer une alerte, c’est le problème de ce que ça génère. C’est-à-dire que là où vous vous attendez au soutien de vos collègues, il n’y a absolument personne. Là où vous vous attendez au soutien des élus de l’entreprise, ils sont aux abonnés absents. Là où vous vous attendez au soutien des hiérarchiques, ils sont là pour qu’une entreprise perdure avec des pratiques éthiques et intègres, mais c’est encore pire, parce que ce sont ces gens-là qui vous harcèlent et puis après qui vous licencient. Vous pouviez vous attendre à une solidarité du monde du travail d’aller recruter des gens comme moi qui non seulement sont honnêtes, mais en plus étaient compétents, parce que tous les lanceurs d’alerte sont des gens qui ont une carrière avant leur alerte, mais dans d’autres entreprises. Vous pouviez vous attendre derrière avec des affaires aussi sismiques qu’UBS à ce qu’il y ait un soutien des hommes politiques de tous bords, on peut les compter sur les doigts de la main. Et puis vous pouviez penser que la justice fasse son travail relativement rapidement et puis il faut dix années. Donc, c’est une détermination, il faut une force de caractère qui est inouïe. C’est pour ça que certains lanceurs d’alerte malheureusement ont disparu, alors certains sont assassinés, on ne le sait que trop, mais certains ne supportent plus cette force qui est émise contre nous. Et c’est à la fois pour les lanceurs d’alerte du secteur privé, mais aussi tous les collègues fonctionnaires qu’on peut saluer parce que, eux, dans le cadre de leur mission dévouée au service public, ils sont obligés via l’article 40 du Code de procédure pénale, de dénoncer quand quelque chose ne va pas. Et dans mon livre « La traque des lanceurs d’alerte », les uns après les autres expliquent qu’ils se sont tous retrouvés en justice, qu’ils ont tous été complètement ostracisés, complètement placardisés, isolés. Enfin, c’est édifiant. Tout est fait pour que le système perdure. En fait, c’est ça qu’on a compris. Nous, on pensait juste que nos alertes, c’était des alertes par rapport aux entreprises, mais en fait, tout est en pyramidal, tout se tient.

Web TV www.labourseetlavie.com : Est-ce que justement on peut expliquer en quoi c’est important pour la démocratie, parce que là vous avez parlé d’élus, vous avez parlé d’un certain nombre d’acteurs qui n’ont pas bougé dans votre dossier particulièrement, en quoi c’est important de révéler tous ces dossiers puisqu’il y a aujourd’hui des lanceurs d’alerte aux États-Unis, il y en a effectivement dans plein de pays, vous l’avez rappelé, qui essayent de faire bouger les choses et qui parfois mettent en danger leur vie ? En quoi c’est important ? Si vous ne le faites pas, si les uns et les autres ne le font pas, c’est quoi ? Ça veut dire qu’on vit dans un monde de corruption et que notre démocratie est corrompue ?

Stéphanie Gibaud : En fait, c’est justement ce que j’ai découvert moi, c’est-à-dire qu’à l’époque, il y a dix ans, quand j’ai eu à détruire cette demande de fichiers suite à la perquisition dans le bureau du directeur général, Patrick de FAYET, moi je pensais que tout le monde allait me soutenir, tout le monde c’est-à-dire justement les élus, Bercy, la justice, l’Inspection du travail, etc. Je n’avais pas du tout cette perception du monde. Moi, j’étais juste une Française, mère de famille, qui vivait dans ce qu’elle appelait le pays des droits de l’Homme et je croyais naïvement que je vivais dans ce pays des droits de l’Homme, le pays des philosophes, des poètes, des interprètes, des acteurs, enfin voilà. Et qu’en fait, je me suis rendu compte que j’étais moi-même un véritable danger pour les autres. Ça a été ça l’électrochoc, si vous voulez, de voir qu’en fait, vous êtes un élément qui est susceptible de faire chambouler un échiquier qui existe depuis la nuit des temps puisque tout le monde se tient. Et ça, on l’a su notamment en 2014, Noël 2013-début 2014, quand Pierre MOSCOVICI, le ministre des Finances à l’époque en France nomme à la commission des sanctions du gendarme des banques (NDA Gendarme des Marchés Financiers), qui s’appelle l’AMF, l’Autorité des Marchés Financiers, alors qu’UBS était déjà mise en examen plusieurs fois, il nomme la déontologue d’UBS à la commission des sanctions de cette autorité. C’est là où vous vous rendez compte que tout est tissé pour que rien ne change. Alors, il y a ces grandes paroles auxquelles moi je croyais pendant 40 ans, je pensais qu’effectivement ce qu’on me disait, c’était parce que les élus de premier point, alors moi qui ai une mère élue locale, qui a eu un grand-père élu local et qui ont fait leur travail comme vous le savez, tous ces élus locaux qui passent leurs week-ends, leurs vacances, leurs soirées, plutôt qu’être avec leur famille, moi je pensais que les élus de premier plan, nos députés, nos sénateurs, nos ministres, étaient des saints puissance 100. Et qu’en fait, a éclaté l’affaire Bettencourt, a éclaté l’affaire Cahuzac, qui m’ont moi donné des clés et qui auraient dû les donner à tous les autres. Parce qu’en fait, ce qui est fou, c’est que tout cela perdure parce qu’il y a le silence de cette masse qui est à la fois dans la peur, la terreur, en fait on ne veut surtout pas être à la place de Stéphanie GIBAUD ou d’autres lanceurs d’alerte, c’est évident, et qui préfère laisser la poussière sous le tapis. Après moi, le déluge. Vous savez, c’est les trois petits singes. Les gens ne veulent ni voir, ni entendre et surtout pas être concernés. Donc, « démocratie », qu’est-ce que ça veut dire ? Entre-deux, il y a eu tellement d’histoires en dix ans.

C’est pour ça que j’ai écrit « La traque des lanceurs d’alerte », parce que j’ai vu en France, je vous parlais tout à l’heure de fonctionnaires que j’ai eu l’occasion de rencontrer, j’ai rencontré les lanceurs d’alerte de l’affaire Société Générale, vous savez l’affaire Kerviel Société Générale, personne ne parle jamais des lanceurs d’alerte dans cette histoire. Il y a un certain nombre d’alertes, j’en connais au moins trois, dont la vie a été emportée. C’est-à-dire comme moi, ces gens qui sont sans travail, qui ont été sortis de tous les repaires, que la justice n’a pas reconnus parce qu’elle ne les a pas entendus. La justice ne les a pas entendus. C’est très grave. Donc après avoir fait le tour de ces personnes, je me dis, est-ce qu’il n’y a qu’à France où on a ce problème avec l’éthique, avec l’intégrité ? Parce que même les bas de laine en France, on aime tout ce qui est caché. Donc, je suis allé en Italie, en Espagne, en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, puisque je suis un des soutiens de Julian ASSANGE, et moi qui ai vécu aux États-Unis et qui ai de la famille aux États-Unis, je me suis dit, mais eux qui ont en Angleterre, aux États-Unis, le lancement d’alerte dans leur constitution, comment ça se passe ? Et puis en fait, les uns après les autres racontent tous leur histoire, très différentes, dans des EHPAD, dans des écoles, dans la police, dans la finance bien évidemment, dans l’agroalimentaire, dans les laboratoires pharmaceutiques et toutes ces histoires très différentes arrivent à la même conclusion : c’est celui qui parle – la chanson de Guy BÉART, vous voyez – celui qui parle doit être exécuté. Et que là effectivement, se pose fondamentalement la question de la démocratie.

Et une des réponses, c’est Larry LESSIG qui la donne, Larry LESSIG qui est professeur d’économie à Harvard et qui s’était présenté aux États-Unis à la présidentielle en 2016, aux Primaires et qui dit qu’en fait, la démocratie se devrait d’être internationale et en fait nos hommes politiques ont fait qu’elle n’est que locale, elle n’est que par pays et qu’en fait la démocratie n’est liée en local qu’avec les lois du pays concerné. Et qu’en fait, on repart au problème de tout à l’heure, c’est-à-dire que le problème, c’est la loi, une loi qui devrait être applicable dans tous les pays pour tout le monde. Et qu’en fait, que l’on soit puissant ou misérable, et on repart à La Fontaine, eh bien, la justice n’est pas la même. Parce que justement, avec leur constitution, les Américains n’ont jamais mis autant de lanceurs d’alerte en prison ou en exil que sous Barack OBAMA. C’est très clair. La situation de Julian ASSANGE enfermé à l’ambassade d’Équateur à Londres depuis six ans, c’est à cause des États-Unis. Et que le droit de la presse aux États-Unis, en plus, c’est très fort. Enfin, il y a quelque chose de très important sur la liberté d’expression. Nous, nous sommes le pays des droits de l’Homme où il avait demandé asile, l’asile a été refusé. Edward SNOWDEN, américain réfugié à Moscou, il faut quand même le rappeler, il avait aussi demandé l’asile à François HOLLANDE : refusé également. Donc après, la vraie question, c’est une fois qu’on a compris, une fois qu’on voit bien que le peuple catalan qui vote pour son indépendance n’est pas souverain, avec cette pression économique et ces pressions politiques, on comprend que la seule solution que nous ayons est de tous nous regrouper. C’est-à-dire que, vous voyez, en entreprise, vous qui avez fait comme moi partie de grands groupes, c’est du bottom up . C’est le président, le conseil de surveillance, qui décident. C’est du top-down. Là, c’est l’inverse : c’est du bottom-up. C’est-à-dire que c’est à tout le monde de se réunir pour que l’éthique justement soit à toutes les strates de la société. Et l’avenir, parce que la vraie question est là, on a fait le tour de ces lancements d’alerte, on ne va pas en reparler, parce que j’ai l’impression qu’on ressasse des choses et que la seule chose qu’on sache faire, c’est la compassion.

Web TV www.labourseetlavie.com : Oui.

Stéphanie Gibaud : Ah, ma pauvre dame ! Ah oui, quel courage vous avez. Mais attendez…

Web TV www.labourseetlavie.com : Pas d’avancée.

Stéphanie Gibaud : Aucune ! Et ça permet justement à l’impunité et à l’opacité de perdurer. On parle du secret bancaire pour les banques, mais il y a d’autres secrets, le secret des affaires. On va faire le tour de tous nos euro-députés et de tous les élus en France qui ont voté de ce secret des affaires. C’est une ineptie. Ineptie ! On nous dit que ça va protéger les petits commerçants, les artisans, mais enfin, c’est juste encore une grosse invention pour que les multinationales qui sont déjà très protégées le soient encore plus. Donc, c’est la société civile qui là va reprendre le pouvoir. Et on sent vraiment qu’on est à la veille de ce changement parce qu’ils sont allés beaucoup trop loin.

Web TV www.labourseetlavie.com : Oui, parce que ce que vous dites, c’est quand on voit aujourd’hui l’état du monde, quand on le regarde aux États-Unis, quand on le regarde en Europe, on voit les populistes, donc on voit certaines réactions du peuple face à des comportements de corruption, face à un certain nombre de sujets et on voit cette montée. Aujourd’hui, il y a un risque effectivement important aussi dans la manière où les peuples réagissent finalement à cette situation où on va dire, ils jettent tout. Ils jettent tous les politiques. 

Stéphanie Gibaud  : Alors, jeter les politiques, oui, c’est ça. Parce qu’en fait, les peuples, on les met en état de stress, on leur fait peur. C’est la peur du chômage, c’est la peur de l’autre. Vous voyez bien que ce qui fonctionne depuis des années et le cas des lanceurs d’alerte justement exacerbe ça, c’est le diviser pour mieux régner. On a divisé les hommes, les femmes, les personnes âgées, les SDF, les diplômés, les non-diplômés, les jeunes, mais il n’y a plus de cohésion. En fait, ce qu’il faut faire, c’est recréer du lien entre chacun, où on est une société de solidarité, une société de projets. Alors que depuis très longtemps et notamment depuis la dérégulation de la finance, sur le sujet voulu notamment par Margaret THATCHER et son homologue américain, la dérégulation de la finance a créé ce qui se passe aujourd’hui. Moi, je suis en Italie très souvent et en Italie, c’est flagrant. On ne parle que d’argent, d’argent, d’argent, mais partout. Partout, les gens n’ont qu’une référence, c’est en avoir toujours plus, encore plus, mais il n’y a plus de sens, il n’y a plus d’essence. Et en fait, c’est ça qu’il faut recréer parce qu’on voit que l’humanité est en danger. Il y a assez de scientifiques qui parlent du problème climatique, mais qui parlent aussi de la disparition dramatique d’espèces vivantes, d’animaux et d’insectes et de plantes, de la faune, de la flore, c’est assez choquant. Et qu’en fait, tout ça, tous ces crimes, c’est lié à la finance dérégulée. Toujours plus avec une impunité absolue. Vous avez vu comment ces banques se sont sorties de cette crise de 2008 où tout le monde, on parlait d’UBS tout à l’heure, mais les Suisses depuis dix ans renflouent UBS qui ne paye plus d’impôt. Donc, ce sont les contribuables suisses qui sont tous à aller payer des impôts pour cette banque qui n’en paye plus, alors que c’est le plus gros employeur de Suisse.

Web TV www.labourseetlavie.com : Il y a eu un seul pays, c’est l’Islande, qui a effectivement laissé ses banques sombrer.

Stéphanie Gibaud : Alors, elle a laissé ses banques sombrer en mettant les banquiers en prison, en limogeant le gouvernement et elle a fait mieux que ça parce qu’en 2016 avec les Panama papers, vous savez où un certain nombre d’hommes politiques sur la planète ont été éclaboussés et nous la France, on n’a pas été en reste, le Premier ministre islandais a fait comme Jérôme CAHUZAC devant les caméras de télévision, devant son peuple, a dit « Mais ni de près ni de loin, je ne suis concerné » et le peuple islandais était dans la rue le lendemain et là il a été obligé de rétro-pédaler, il a été obligé de démissionner. Comme quoi, quand on dit qu’il n’y a pas de solution, vous voyez bien que le peuple, on parlait de populisme tout à l’heure, mais ça, c’est un peu mot aussi, le peuple défend les intérêts du peuple. Il a bien raison parce qu’en fait, c’est ça : on est gangréné à la fois par la finance dérégulée et pas ces hommes politiques qui ont créé une connexion avec toutes ces banques qui ne doivent plus exister. Vous le voyez en France, avec ces passerelles des hauts fonctionnaires d’État dans toutes ces banques. On l’a vu avec Michel SAPIN justement, l’été 2016, où l’un de ses chefs de cabinet qui est arrivé était un des membres de la direction de la Société Générale. Je vous donnais l’exemple de Madame Bonfante tout à l’heure nommée à la commission des sanctions de l’AMF par Monsieur MOSCOVICI. Et les autres lanceurs d’alerte dans le domaine médical m’ont raconté la même chose, les passerelles entre les médecins et le ministère de la Santé par exemple. Ça ne doit plus exister. Enfin, ce n’est pas compliqué là-dessus de mettre des règles.

Web TV www.labourseetlavie.com : Pour terminer cet entretien avec vous, qu’est-ce que vous en attendez de ce procès qui va durer à peu près un mois ? Ça va être effectivement un procès important bien sûr pour vous, on le comprend, mais aussi pour tous ceux, vous l’avez rappelé, qui s’intéressent à ce sujet et qui sont sensibilisés à ce sujet. Qu’est-ce que vous en attendez ?

Stéphanie GibaudMoi, j’attends surtout un éveil des consciences. Vous voyez, aujourd’hui, malgré la médiatisation de tous ces dossiers, on sent qu’il n’y a qu’un certain pourcentage des gens qui sont concernés. Sauf que là, c’est leur argent. Il y a un fonctionnaire qui me disait il y a peu de temps, les 12 milliards que représente UBS, ça fait 650 euros par foyer fiscal. Vous, vous pourriez écrire à Bercy ou faire une « class action » et dire « Vous me devez 650 euros ». Donc en fait, c’est une évolution des mentalités, de faire aussi que ce qui m’est arrivé n’arrive plus jamais à personne, parce que je suis une survivante. Je l’ai dit des centaines de fois. Je ne devrais plus être là tellement c’est violent, tellement c’est inouï, tellement c’est injuste et que l’État en même temps, parce que c’est important de parler de la responsabilité de l’État, l’État n’est pas là. Aujourd’hui, c’est l’État qui traine UBS en justice, mais UBS ne pourrait pas être trainée en justice si je n’avais pas été amenée à donner ces informations pendant plus d’un an à Bercy où Bercy ne me reconnaît pas comme lanceuse d’alerte. Bercy communique en disant « Cette femme n’est juste qu’un témoin utilisé dans un dossier ». C’est-à-dire que le premier à ne pas respecter les lois, c’est l’État. Donc en fait, c’est simple. Il faut faire comprendre aux gens que l’État, c’est eux, que l’État, c’est nous tous et que nous devons justement être solidaires les uns des autres pour vivre dans un monde meilleur tourné vers les générations futures.

Web TV www.labourseetlavie.com : Merci beaucoup, Stéphanie GIBAUD de nous avoir accordé cet entretien et puis on suivra cette actualité, bien entendu, à partir du 8 octobre. Merci beaucoup à vous.

Stéphanie Gibaud : Merci de votre intérêt. Merci beaucoup.

 

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