Rainer Voss ancien banquier d'affaires : "Les mathématiques jouent un rôle trop important dans le monde de la finance aujourd'hui".
Rainer Voss est le banquier qui parle dans "Master Of The Universe" (Interview 1ère partie)
INTERVIEW EXCLUSIVE PREMIÈRE PARTIE
Rainer Voss est le banquier d’affaires qui parle dans “Master of Universe”, film qui raconte à travers son témoignage les dessous de la finance de marchés, la fameuse banque d’investissement qui s’est rendue célèbre aux cours des dernières années par de nombreux scandales.
J’ai eu la chance de le rencontrer lors de son passage à Paris et il m’a accordé cette interview. Son métier, les failles de ce système financier, de son mode de fonctionnement. J’ai voulu comprendre avec lui pourquoi et comment ce système avait connu des dérives. Quels étaient les ressorts des intervenants, comment pouvait-on aussi imaginer changer le système ?
Avec plus de régulation ? De l’intérieur ? La sortie du “Master Of Universe” film où il est le “héros”, celui qui raconte les secret de la Finance, a été l’occasion d’en parler avec lui ses réponses font parfois froid dans le dos, elles nous éclairent en tout cas sur la financiarisation de notre économie, de nos économies et sur ce qui se passe réellement dans ce monde de la Finance, souvent caricaturé, mal compris, mal appréhendé dans toutes ses dimensions. Il nous met en cause aussi dans nos propres choix. Il n’y a pas les méchants banquiers, baptisés les « banksters » et nous les « gentils » citoyens, nous participons à ce système avec nos choix personnels. Ce n’est pas le moindre des paradoxes à découvrir dans cette interview exclusive.
Didier Testot (labourseetlavie.com) : Rainer Voss, merci d’être avec nous. Vous n’êtes pas le seul maître de l’univers, mais l’un d’eux. Haut responsable d’une banque d’investissement, vous évoquez dans ce film (NDA « Master Of The Universe »), votre métier et, plus largement, le système financier. Pourquoi avez-vous choisi d’offrir ce témoignage et de rétablir la vérité ?
Rainer Voss ancien banquier d’affaires : « Je me sens responsable de la profession. Ma carrière dans la banque a débuté en 1979. À l’époque, banquier était un métier aussi estimé que médecin ou prêtre. C’était une profession très respectée. Aujourd’hui, cette image s’est détériorée. Je considère que la plupart des institutions bancaires ont une réelle utilité sociale et sont indispensables à l’organisation de nos vies au sein de la société. Mais, le système étant devenu hypertrophique, nous devons prendre des mesures pour le ramener à une échelle plus raisonnable. Pour ce faire, et lorsqu’on veut réguler un système, il faut d’abord en comprendre les rouages. Et je pense que seul un initié peut les expliquer. Que ce soit moi ou un autre, peu importe».
Didier Testot (labourseetlavie.com) : Vous décrivez également une partie de votre vie. Qu’en est-il de votre métier ? Vous parlez de journées entières de travail sans dormir, deux jours d’affilée sans dormir, pour fournir un produit ou décrocher un contrat pour un client ? Vous faites allusion au début du film où je parle de deux à trois nuits blanches d’affilée.
Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Ça ne m’est jamais arrivé, mais j’ai vu des jeunes le faire. Selon moi, c’est une aliénation du travail et du travailleur. En effet, ce n’est plus du travail lorsque cela devient un sacrifice. Ils sacrifient leur travail à une déesse, qui porte le nom de BNP Paribas, Deutsche Bank, UBS, etc. En retour, la déesse leur témoigne de l’amour, de l’affection, leur offre une famille. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’argent. C’est la première chose à comprendre. La seconde est qu’il n’est pas question de bien et de mal. Il n’y a pas de méchants banquiers et d’honnête société. Et les méchants banquiers ne manipulent pas la société, non. Nous sommes tous dans le même bateau. C’est ce qui rend les choses si dures à contrôler : tout est lié.
Didier Testot (labourseetlavie.com) Dans le film, vous vous trouvez dans un bâtiment, dans une grande pièce, certainement une salle des marchés. Comment ne pas se sentir le maître de l’univers dans cette salle des marchés ? Cela est dû à la présence de tous ces gens, des écrans ?
Rainer Voss ancien banquier d’affaires : C’est tout à fait saisissant. Dans le film, je parle de “virus”. Certains me demandent : “Tu arrives à travailler” au milieu de 400 personnes qui hurlent, dans un tel vacarme ?” Je ne pourrais pas travailler dans un autre environnement. On s’y habitue, on se retrouve aspiré. On s’y intègre complètement. C’est important, cela fait partie du jeu. Est-il difficile, lorsqu’on est dans la salle des marchés, d’avoir en vue l’économie réelle ? Je pense, oui. Mais je ne pense pas que seul le secteur financier soit concerné. Nous vivons dans une société au sein de laquelle les gens les plus respectés sont ceux qui savent tout dans le moindre détail. Vous pouvez être spécialiste des neutrinos, en physique, de l’essieu arrière d’une Peugeot, ou spécialiste d’un produit financier dérivé. Mais en dehors de votre domaine, vous ne connaissez rien. Selon moi, vous ne pouvez être tenu pour responsable car vous ne comprenez pas les conséquences de vos actes. On ne peut donc pas vous demander d’être responsable. Nous devons changer notre façon d’aborder cette question. Il faudrait peut-être s’interroger sur toute la chaîne, depuis les salles des marchés jusqu’aux dirigeants. Car comment être sûr que les dirigeants comprennent…Alors, qu’ils s’abstiennent ! Quand on ne comprend pas de quoi il s’agit, on s’abstient. C’est simple. N’achetez rien si ce n’est pas clair ! Ca a un impact sur la société.Pourquoi acheter des choses qu’on ne comprend pas ? Il faut arrêter ça.
Didier Testot (labourseetlavie.com) Pourtant, ils vous ont dit, à vous et aux traders dans la salle des marchés, que peu importe la façon dont vous dégagez des profits, l’important est qu’ils augmentent de 10% chaque année.
Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Absolument. Néanmoins, il y a une limite mathématique à cet exercice. On ne peut croître de manière exponentielle indéfiniment. C’est impossible.
Didier Testot (labourseetlavie.com) : On vous voit également,dans “Master of the Universe”, rédiger des formules très simples visant un crédit municipal. Comment un produit peut-il être créé à partir d’une simple formule ? Et être ensuite vendu au client ?
Rainer Voss ancien banquier d’affaires : Le coup de la formule donne avant tout un côté théâtral à ce moment du film. À mon avis, en règle générale, les mathématiques jouent un rôle trop important dans le monde de la finance aujourd’hui, car elles nient complètement les émotions, les défaillances humaines, etc. Et d’ailleurs, les mathématiques ne sont pas fiables. J’ai lu quelque part qu’après la faillite de Lehman Brothers, une banque a été bouleversée par 7 évènements qui étaient à 25 écarts-types des prévisions. Autrement dit, cela ne peut se produire que tous les 10 puissance 140 ans. C’est aussi probable que de subir 30 Fukushima en un après-midi. Pourtant, c’est arrivé.Cela signifie que les modèles ne sont pas fiables. La valeur d’un actif est définie par ce que les gens sont prêts à payer. Pas par un modèle.
Tous droits réservés www.labourseetlavie.com 22 décembre 2014.
LA SECONDE PARTIE EST VISIBLE ICI : http://www.labourseetlavie.com/videos/l-interview/rainer-voss-ancien-banquier-d-affaires-les-cygnes-noirs-viendront-d-ailleurs-par-exemple-des-cybertechnologies,1892.html
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